Article paru
dans le Point le 25 mai 2021
Par Valérie Pfeiffer
À l'Assemblée nationale, la députée du Nord Valérie Petit est toujours prompte à se lancer dans des combats iconoclastes. Courant juin, elle va dégainer une proposition de résolution destinée à lutter contre la charge mentale administrative. Le poids psychologique de la gestion des tâches administratives est, pour elle, un trop lourd fardeau porté par les usagers des services publics. Et qui, de plus, s'est alourdi depuis le début de la crise sanitaire : « L'attestation de sortie est un exemple caractéristique des procédés mis en place par l'administration qui peuvent rendre fou tant ils sont complexes. Les gens ont peur de se tromper et d'être sanctionnés à tort. »
« Personne ne se rend compte des souffrances qu'infligent certaines administrations à nos concitoyens. » Et celle qui se définit comme la vigie libérale de la majorité (ex-LREM, elle appartient aujourd'hui au groupe Agir) d'expliquer : « En tant que députée, je suis aux avant-postes pour observer ce que j'appelle le burn-outadministratif. » La plupart de ceux qui la consultent lors de ses permanences la sollicitent pour des problèmes qu'ils rencontrent avec des services publics. « Parler de burn-out n'est pas insensé, je reçois des gens qui n'en peuvent vraiment plus physiquement et moralement. Les relations qu'ils ont avec les administrations les rendent littéralement malades », juge-t-elle.
« J'étais en panique totale ». Selon elle, il y a deux grandes catégories de « martyrs » dans ce domaine : « Les demandeurs de prestations sociales, qui sont traités comme des chiens, et les entrepreneurs, perdus dans le dédale des démarches et des formulaires. » C'est en travaillant sur le revenu universel, qu'elle défend bec et ongles, qu'elle a constaté les « tracasseries dantesques » auxquelles devaient faire face les demandeurs du RSA. « Pour ne pas perdre leurs droits, ils finissent par devenir des espèces de managers du RSA et n'ont plus le temps de chercher sereinement une activité pour se relancer », explique Valérie Petit. Les chefs d'entreprise, dont la « to do list » administrative est continuellement alimentée tel un puits sans fond, sont les autres grandes victimes de l'administration . « Non seulement ils passent plus de temps à remplir des déclarations et à répondre aux demandes administratives, toujours plus complexes, qu'à développer leur business, mais, en plus, les services publics ont tendance à les considérer comme des fraudeurs en puissance et n'hésitent jamais à les mettre au banc des accusés. À charge pour eux de se défendre seuls face à une machine sans états d'âme », note-t-elle.
Être victime de la folie d'une administration peut arriver à tout le monde. Elle-même a fait les frais à deux reprises d'un imbroglio administratif qui aurait pu la faire craquer. Il y a deux ans, les impôts ont écrasé par erreur son identité fiscale. Impossible dès lors de déclarer ses revenus et donc de payer ses impôts. Une situation plus que critique pour une élue de la nation. « J'étais en panique totale et personne ne trouvait la solution », se souvient-elle. Valérie Petit a fini par trouver un interlocuteur « à visage humain » qui a pris le temps de la rassurer et qui l'a aidée dans ses démarches. Mais cela lui a pris un temps fou (presque deux ans) de retrouver son identité fiscale. « Si, en plus, on m'avait traitée comme une criminelle, je ne suis pas certaine que je l'aurais aussi bien supporté », précise-t-elle.
« Facteur de souffrance ». Sa deuxième mésaventure administrative a été plus douloureuse. Interpellée par la CAF pour avoir touché indûment une prime de naissance pour un enfant qu'elle n'avait pas eu, elle a dû affronter une administration inflexible et sans empathie. Après avoir reçu plusieurs courriers, la jeune femme a fini par avoir un agent de la CAF, qui lui a dit qu'on allait la rappeler dans la semaine entre 9 heures et 18 heures. « Quand je lui ai dit que cela pouvait être compliqué de répondre à certains moments car je travaillais, il m'a rétorqué qu'il fallait que je réponde impérativement, sinon mon dossier ne serait pas traité et les sanctions seraient appliquées. Je vous passe ses questions posées sans ménagement sur une grossesse que je n'avais pas eue », se souvient Valérie Petit, encore meurtrie. Avant d'ajouter : « Imaginez la peur que cela engendre chez une personne fragile… »
Voilà pourquoi, selon elle, il est urgent de permettre aux citoyens de « se retourner contre une administration qui les accablerait ». Son idée ? S'inspirer de ce qui existe dans le droit du travail. « Comme l'employeur doit prendre en compte les effets de l'activité professionnelle sur la santé mentale de ses salariés, les fonctionnaires des services publics doivent avoir en tête que la complexité peut être un facteur de souffrance », détaille Valérie Petit. Sa proposition de résolution s'inscrirait dans la lignée de la loi Essoc, votée en 2018, qui permet aux usagers d'invoquer le droit à l'erreur face à l'administration. « C'est une première reconnaissance du fait que l'usager peut ne pas avoir compris ce qui lui était demandé, précise-t-elle. Mais il faut aller plus loin en abordant la dimension psychologique de la relation. » Pour elle, les efforts de simplification de l'État doivent désormais être accompagnés d'« un choc de bienveillance de la part des services publics ».
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