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Photo du rédacteurValerie Petit

Stade de France, affaire Cayeux : l’impossible exemplarité politique ?


L’histoire retiendra peut-être que tout commença par une simple phrase dans un magazine féminin. Cette phrase, c’est la réponse le 6 juillet dernier de la première ministre Elisabeth Borne à la journaliste du magazine ELLE qui lui demande s’il fallait démettre Damien Abad de ses fonctions ministérielles après que trois femmes aient porté plainte pour viol contre lui : « il y a un devoir d’exemplarité des responsables politiques », répond-elle en substance, à rebours de la ligne élyséenne de soutien inconditionnel et systématique des ministres mis en cause.


« Exemplarité » : Elisabeth Borne vient d’ouvrir la boite de pandore du pouvoir, libérant le mot/mal tabou qu’elle jette telle une grenade dégoupillée dans le landernau gouvernemental.

Car ce que dit en substance l’impétrante Elisabeth, c’est que pour gouverner (et être maintenu à son poste) il ne suffit plus désormais d’être jugé innocent devant un tribunal, ni même désigné vainqueur par les urnes, ni encore faire partie des visiteurs du soir de l’Elysée, il faut être politiquement exemplaire dans ses comportements et ses attitudes. En particulier lorsqu’il s’agit de faire bon usage de son pouvoir, un usage qui ne soit ni excessif ni abusif.

C’est une véritable révision des règles de la légitimité politique qu’esquisse la cheffe du gouvernement, peut-être même la plus grande réforme de ce quinquennat initiée, signe des temps, sans l’aval du Président de la République. Mais elle suscite aussi beaucoup de questions : qu’est-ce qu’un comportement exemplaire en politique ? Qui pour le définir et le sanctionner ? Certains, se revendiquant d’un machiavélisme rudimentaire, balaient la question d’un revers de main sous prétexte que la morale n’aurait rien à faire en politique. D’autres, plus habiles mais tout aussi acquis au statu quo, dramatisent une attaque à l’état de droit ou la rumeur et la morale populaire emporteraient la démocratie (rien de moins).


La réalité est que les propos d’Elisabeth Borne n’ont rien de nouveau, ils sont à vrai dire parfaitement gaulliens ! Car la première ministre rappelle simplement cette évidence que les hommes politiques sont aussi jugés sur leur caractère, « cette vertu des temps difficiles » pour reprendre le mot du Général de Gaulle. Or notre Constitution offre une latitude d’action importante à l’exécutif et dès lors une influence exorbitante sur la vie politique des caractères de ceux qui gouvernent. Cette marge de manœuvre devrait obliger les détenteurs du pouvoir à un exercice quasi-spirituel de résistance morale et intellectuelle face aux effets corrupteurs du pouvoir. Tous ne s’y astreignent pas, tous n’en sont pas capables, tous ne sont pas De Gaulle assurément. C’est là le risque de la Vème République, elle ne sied qu’aux grands hommes et aux grandes femmes, elle ne fonctionne et perdure qu’à la condition précisément …de l’exemplarité.


Ainsi vouloir réintégrer la dimension morale de l’exercice du pouvoir, ne signifie pas concurrencer le droit comme d’aucuns voudraient le faire croire, mais l’enrichir par ce supplément d’âme qui fait toute la différence et la gouvernabilité du pays. La philosophe Simone Weil soulignait ainsi que « l’obéissance à un homme dont l’autorité n’est pas illuminée de légitimité est un cauchemar ». Ce n’est pas parce que quelqu’un détient légalement le pouvoir que celui-ci est accepté par les gouvernés. Il faut qu’il soit reconnu comme légitime, c’est-à-dire comme exemplaire des valeurs de la société, en particulier celles que les Français associent à l’autorité. Or, aujourd’hui, c’est un fait que la société Française opère une révision de celles-ci: la verticalité, l’exceptionnalité, la brutalité, l’impunité, la malhonnêteté mais aussi le sexisme ne sont plus tolérés comme ils le furent parfois par le passé. Il est donc temps de redéfinir l’exemplarité politique au sens de sa cohérence avec les valeurs de la société actuelle, il y va de la légitimité de l’exécutif et de la gouvernabilité du pays. Elisabeth Borne la bien compris, Emmanuel Macron un peu moins.


Affaire du stade de France, affaire cayeux, deux cas d’école


Mais alors comment définir cette nouvelle exemplarité et comment définir la sanction en cas de manquement ? Prenons deux exemples récents.


L’affaire du stade de France d’abord. Le rapport du Sénat remis ce mercredi retrace l’histoire d’un échec manifeste de gestion en même temps que la victoire à la Pyrrhus de l’irresponsabilité. Ainsi, là où un individu normalement responsable, confronté aux erreurs manifestes de ses équipes présenterait des excuses aux victimes, prendrait sa part de responsabilité et analyserait les faits avec objectivité pour ne pas reproduire les erreurs, le duo Lallement/Darmanin a quant à lui opté pour le travestissement de la vérité et le rejet de la faute sur les victimes, se défaussant systématiquement de ses responsabilités. Si le sociologue Max Weber qui a théorisé les fondements de l’éthique politique était encore de ce monde, il y verrait sans doute l’absence des deux types d’éthiques qui fondent la politique. L’éthique de responsabilité qui jauge l’action et les décisions politiques à l’aune de leur efficacité et capacité à atteindre un objectif. Et l’éthique de conviction qui jauge celles-ci à au respect des valeurs consubstantielles à la vocation politique dans leur mise en œuvre (sincérité, recherche de l’intérêt général par exemple). Dans le cas du stade de France, quelle que soit l’éthique de référence, responsabilité ou conviction, la conclusion en termes d’exemplarité relève de l’évidence. Il n’y en a aucune. Certains analystes estiment que la gestion politique calamiteuse des incidents du stade de France aurait à elle seule couté 50 députés et la majorité absolue à Emmanuel Macron. Le prix politique a payé pour le manque …d’exemplarité, qui mériterait sans doute une sanction.


Prenons à présent l’affaire « Caroline Cayeux » qui a tenu récemment des propos a caractère homophobe ou tout du moins méprisants pour les personnes LGBT, ces « gens-là » selon son expression assurément indigne. Là ou les propos manifestement sexistes d’un ministre à l’endroit d’une journaliste n’avait suscité pas même un battement de cil dans la majorité, encore moins une tribune indignée dans le JDD, les propos de Caroline Cayeux font eux l’objet d’une polémique sans fin et les mêmes de demander sa démission immédiate pour ce défaut d’exemplarité. Et voilà bien tout le problème : l’un est confirmé en dépit de propos sexistes et d’un manque d’exemplarité dans sa gestion politique tandis que l’autre, qui s’est pourtant excusé et surtout engagé à ne plus dévier de la ligne gouvernementale, se voit déjà reconduite à la frontière de l’exécutif. Deux poids, deux mesures. Ou plutôt un poids lourd et un poids léger. Tout cela n’est pas très sérieux. Car s’il ne s’agit pas de défendre Caroline Cayeux, il faut tout de même noter que ses excuses publiques et son engagement à rester à l’avenir dans la ligne du gouvernement c’est-à-dire précisément exemplaire rendraient incompréhensible sa démission et uniquement la sienne. Celle-ci viendrait en outre récompenser en creux ceux qui ne font aucun effort de remise en cause encore moins d’excuses pour leurs manquements au détriment de ceux qui font amende honorable. Que l’exécutif réfléchisse donc bien avant de sanctionner (ou non) tel ou telle ministre à l’égalité de traitement dont il fera montre en la matière.


Infortunes de la vertu et prospérités du vice


Et l’on imagine la difficulté pour Elisabeth Borne de trancher. Car c’est une véritable bataille qui se déroule sous nos yeux entre Matignon et l’Elysée. Une bataille pour la définition de l’exemplarité du pouvoir et sa sanction. Pour en comprendre les ressorts, rien de tel que la relecture du plus grand philosophe français du vice, Sade. Car il y a chez Elisabeth Borne, quelque chose de la Justine du roman du divin marquis, cette jeune femme décidée à faire le bien qui ne se voit récompensée de sa vertu que par des infortunes terribles. Et il y a chez Emmanuel Macron quelque chose de Juliette, cette jeune femme qui fait l’apprentissage de l’immoralité auprès des plus grands experts de son temps et se laisse convaincre des prospérités du vice par ses plus virtuoses représentants. C’est ainsi le défi ardu de la première ministre, que de parvenir à démontrer que le vice ne sera plus guère longtemps prospère ni récompensé et que l’exemplarité se mesurera à l’aune de la responsabilité effective et non du poids politique dans la balance de l’exécutif.



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