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Tribune parue dans Harvard Business Review en 2017, mais toujours pertinente pour analyser les grâces et disgrâces de nos leaders !



Par nature, le charisme est éphémère et le leader charismatique voué à la disparition : telle est la prophétie formulée il y a un siècle par celui qui, le premier, conceptualisa le charisme : le sociologue allemand Max Weber. Cette prophétie en forme de tragédie résonne étrangement avec le destin de certains dirigeants charismatiques et nous permet de répondre à une question d’actualité qui tourmente bon nombre de leaders ayant connu la gloire : comment conserver, voire regagner son charisme ?


Grâce et disgrâces du leader charismatique

Les histoires de dirigeants ayant perdu du jour au lendemain leur charisme sont nombreuses: en France, le destin de Jean-Marie Messier illustre ces phénomènes de retournement où un dirigeant charismatique perd soudain son aura, passant du statut de nouveau prophète à celui de bouc émissaire, expulsé brutalement de la communauté des affaires, le tout dans une effervescence émotionnelle aussi forte que celle qui présida à son ascension. Quelques années plus tard, Jean-Marie Messier a tenté son retour, sans grand succès. Il est vrai qu’il n’est pas aisé de retrouver son charisme. Tous les dirigeants ne sont pas Steve Jobs, qui retrouva son charisme, 10 ans après avoir quitté Apple. Alors, pourquoi est-il si difficile de conserver et surtout de reconquérir son charisme ? Et surtout comment faire ?

Pour répondre, il nous faut d’abord rappeler ce qu’est le charisme. En Grec, Charisme signifie grâce divine : le leader charismatique est celui qui est touché par la grâce, ce virtuose, doué de multiples dons qui font de lui un être à part, capable de relever les plus grands défis. Les premières mentions du charisme sont religieuses : dans la bible (2ème Epitre aux corinthiens), Paul utilise le mot charisme au pluriel et au sens de dons spirituels. La prophétie, la glossolalie ou la capacité à faire des miracles distinguent ainsi les vrais des faux prophètes. Notre définition actuelle du charisme n’est pas si éloignée de son ancêtre: quand nous pensons aux leaders charismatiques, nous imaginons généralement des individus incroyablement doués, visionnaires, excellents orateurs et capables de choses incroyables.

A ce portrait, Max Weber ajoute deux caractéristiques qui permettent de comprendre le destin de ces leaders charismatiques et les alternances de grâce et de disgrâces qui les caractérisent.


Le charisme est une croyance

Pour Weber, le charisme n’est pas un ensemble de qualités individuelles mais la croyance d’un groupe d’individus dans les qualités extraordinaires d’un leader. Ici surgit toute la force et la fragilité du charisme : il n’est qu’une croyance, certes fervente et capable de nous faire déplacer des montagnes, mais fragile car purement subjective. Ainsi, il suffit qu’un évènement, même anodin, vienne contredire cette croyance, pour que d’un seul coup, le roi se retrouve nu, dépouillé des habits de lumière dont nous l’avions nous-même paré.


Le charisme est une révolution

A cette fragilité qui explique pourquoi certains leaders perdent brutalement leur charisme (ou plutôt la croyance dans leur charisme), s’ajoute une autre caractéristique liée à la fonction historique du charisme. En effet, pour Weber, le charisme est moins une qualité personnelle qu’une force historique de révolution. Pour le sociologue allemand, le leadership charismatique n’a qu’un but : faire tomber les ordres et les leaders en place quand ceux-ci ne satisfont plus les peuples. Voilà qui explique pourquoi tant de leaders charismatiques, de Steve Jobs à Xavier Niel, de Sheryl Sandberg à Simone Veil en passant par De Gaulle et Julian Assange, sont avant tout des figures de la subversion et de la remise en cause des traditions établies. Voilà qui explique également pourquoi nous voyons souvent surgir ces leaders dans des situations de crise et de renouveau.

La routinisation du charisme

Mais une fois la tradition balayée et le nouvel ordre établi, une fois sa fonction remplie et sa mission achevée, le leader charismatique perd sa raison d’exister. Dès lors, il s’ennuie et nous ennuie, nous, qui nous sommes épuisés à le suivre, l’adorer et lui offrir toute notre énergie. Que faire alors de lui ? Fragile, éphémère, le charisme est voué à disparaître ou à se transformer. C’est ce que Weber nomme « la routinisation du charisme ». En nous inspirant de ses travaux, nous pouvons identifier 3 scénarios et trois recommandations pour ces dirigeants charismatiques.

Le scénario de la disparition

Le premier scénario est celui de la disparition du dirigeant. Cette disparition peut-être involontaire : ceux qui croyaient en lui et sa prophétie se détournent lorsqu’ils découvrent qu’il n’est finalement pas cet homme capable de miracles. La croyance s’effondre. C’est l’histoire de Jean-Marie Messier, l’un des premiers P-DG français à avoir été destitué par son conseil d’administration. Mais le dirigeant charismatique peut aussi décider de quitter de lui-même l’entreprise, parce que la période d’institutionnalisation qui l’attend, il le sait, ne lui convient pas : c’est le cas de ces sérial entrepreneurs et de ces dirigeants de transition qui ne s’épanouissent que dans des épisodes de transformation intense, multipliant ainsi les épisodes charismatiques, échappant à la routine et continuant de vivre autant qu’il est possible sur le mode charismatique. Ce scénario nous inspire une première recommandation pour ceux qui souhaitent conserver leur charisme : repérez dès à présent quelle sera et où sera votre prochaine révolution.


Le scénario de la traditionalisation

Le second scénario est celui de la traditionalisation du charisme. C’est un scénario bien connu des entreprises familiales et de ceux qui les ont fondées. Puisqu’il n’est pas possible de conserver son charisme personnel, alors tentons de le transmettre. Pour ce faire, il faut d’abord transformer la vision et la personnalité du leader charismatique en une culture d’entreprises riches de valeurs, d’histoires et de rites. Parmi ces rites, celui de la désignation du successeur à travers des gestes, des mots et des symboles qui soutiennent l’idée d’une transmission possible du charisme. Ici, il sera plus aisé de croire au charisme du successeur désigné si le fondateur est devenu peu ou prou une figure quasi divinisée. Car le personnage charismatique, souvenez-vous, est celui touché par la grâce. Parfois, posséder le même nom que le fondateur suffit ; parfois, un peu plus de mise en scène autour de ce lien privilégié est requise. Quoiqu’il en soit, il faut montrer la filiation et convaincre de la transmission avec force de symboles. C’est la recommandation que nous pouvons faire à ces dirigeants qui choisissent de transmettre leur charisme. Franck Riboud est un bel exemple de ces héritiers à qui a été transmis le charisme du fondateur et qui ont su le pérenniser.


Le scénario de la rationalisation

Le dernier scénario est celui de la rationalisation organisationnelle : ici, le leader charismatique ne transmet pas son charisme à un autre leader, il façonne l’organisation de sorte que que celle-ci, même après que le dirigeant ait disparu, préserve et poursuive l’essence du projet charismatique. Dans ce contexte, la recommandation pour le dirigeant charismatique est de soigner sa vision et de vérifier que l’organisation possède un processus capable de garantir à long terme la mise en œuvre de celle-ci…jusqu’à ce qu’un jour, peut-être, un nouveau leader charismatique surgisse ! C’est l’histoire de Steve Jobs et d’Apple que nous reconnaissons tous.

Ces scénarios sur le devenir de ces révolutionnaires que sont les leaders charismatiques ne doivent pas nous faire oublier que le charisme n’est qu’un ressort du leadership parmi d’autres. Or l’entreprise a besoin de toutes les formes de leadership pour réussir. Si le charisme continue à juste titre de nous fasciner, il est sans doute temps d’ouvrir les yeux sur les autres styles de leader et de leadership.


Les entreprises ont peut-être moins besoin de leaders révolutionnaires que d’une révolution du leadership, qui permettra à tous les profils de leadership de contribuer à sa réussite.



Dernière mise à jour : 5 juil. 2022

Billet - "Elisabeth Borne, est le leader d’une nouvelle ère politique qui veut en finir avec l’inflation des égos et du pouvoir exécutifs"


C’est historique, avec l’élection de Yaël Braun-Pivet à la Présidence de l’Assemblée nationale, la désignation d’Aurore Bergé à la tête du groupe majoritaire et la nomination à Matignon d’Elisabeth Borne, une troïka féminine prend les rênes opérationnelles de la majorité présidentielle. Qui eut cru cela, 19 juin dernier tandis que l’Assemblée nationale affichait un recul du nombre de femmes dans l’hémicycle et tandis que la grande cause du quinquennat, faisait encore figure de poids léger face aux poids lourds (sic) du gouvernement. Personne. Profitant de la sidération qui frappait les hommes politiques en place et les laissait sous le coup de l’émotion, les femmes de la majorité, avec raison, de leur longue préparation, se sont invitées par surprise dans la place. Que nous révèle élévation du pouvoir à la puissance femmes ? Retour sur ce qui a cédé ce mardi et sur ce qui résiste encore.


La revanche des femmes ou le retour du refoulé macronien (ce qui a cédé).


Cette prise pouvoir féminine nous révèle d’abord ce qui a cédé en Macronie, à savoir un véritable barrage au pouvoir fait aux femmes de la majorité depuis 5 ans. En 2017, Emmanuel Macron avait pourtant accompli un exploit historique en faisant entrer un nombre inédit de députées à l’Assemblée et en faisant de l’égalité entre les femmes et les hommes, la grande cause du quinquennat. A l’époque, beaucoup se sont réjouis de ce tournant féministe, avant de comprendre que le patriarcat à peine disparu, allait être remplacé par sa version rajeunie et tout aussi vigoureuse : le fratriarcat. Pas un poste au sommet de l’Etat qui ne soit attribué à un homme : l’Elysée, Matignon, l’Assemblée, le Sénat, le Conseil d’Etat, le Conseil Constitutionnel, le Conseil de la Magistrature, la totalité des partis politiques, la totalité des groupes parlementaires etc. Une hécatombe. Le tout renforcé par un aéropage de conseillers élyséens quasiment unisexe, pratiquant à l’envi les réunions et les décisions en non-mixité. Ajoutons les manifestations viriles de solidarité masculine au sommet y compris quand le masculin exprimait le pire de lui-même qui achevaient d’offenser nombre de femmes Françaises et de décourager celles et ceux qui, dans la majorité, découvraient que rien, non rien décidément n’avait changé. D’aucunes, dont je suis, affirmaient même que le plafond de verre était plus épais que jamais.


Mais alors, que s’est-il passé pour que les digues cèdent ? Un phénomène bien connu des chercheurs en gender studies, que ceux-ci appellent « l’effet des falaises de verre » (glass-cliff effect). Cette théorie mobilisée pour expliquer, dans l’entreprise, les conditions d’accès des femmes au sommet, pose l’hypothèse selon laquelle l’accès des femmes aux plus hautes fonctions est corrélé à la survenue des plus hautes difficultés pour l’entreprise. Dit autrement, c’est quand la situation d’un organisation est désespérée et que les décideurs habituels ont épuisé toutes les solutions habituelles, que les verrous cognitifs sautent sous l’effet du déboussolement, et que s’envisagent un scénarii jamais imaginé jusque-là : nommer une femme ! Comme si face à l’inconnu et à l’ingérable, il fallait opposer une solution tout aussi inconnue et ingérable : la femme, cette être insaisissable et mystérieux ! Le problème, un brin pervers, soulignés par les auteurs de la théorie, c’est que mécaniquement les femmes qui accèdent au pouvoir se retrouvent en général dans des situations bien plus périlleuses que leurs homologues masculins, les exposant plus surement à l’échec que ces derniers. Mais, comme le précise un autre théorie bien connue, celle du double standard, les femmes ont acquis l’habitude d’une exigence disproportionnée lorsqu’il s’agit de leur réussite ! Souhaitons donc à Elisabeth Borne, Aurore Bergé et Yaël Braun-Pivet de bonnes semelles anti-dérapantes pour escalader les falaises de verre qui les attendent dans les prochains mois !


Ainsi nous aurions tort de conclure, que l’accès de ces femmes de grand talent est le fruit de la culture Macronienne. Au contraire, il est bien plutôt le retour flamboyant du refoulé macronien. Ce projet qui se voulait originellement féministe, qui avait nourri tant d’espoirs féminins, revient à son propriétaire depuis le tréfond de l’inconscient Macroniste sous forme de destin pour reprendre le mot du psychologue Carl Jung.


Quand les femmes entrent dans la lumière, l’ombre du pouvoir se révèle (Ce qui résiste)

N’allons cependant pas crier au triomphe du talent sur les préjugés sexistes et à la victoire de l’adelphité en politique. Le fratriarcat résiste toujours et recycle les vieilles ficelles ancestrales pour veiller à renouer les fils de sa tradition. Pour preuve, le traitement réservé à sa probable future victime : Elisabeth Borne, première ministre nommée par Emmanuel Macron. Elle qui incarna si bien la compétence, est désormais celle que l’on choisit pour son sexe et que l’on risque de remercier pour la même raison. Ainsi se murmure-t-il dans les coulisses de la Macronie, qu’avec une femme au perchoir et une autre à la tête du groupe parlementaire, il serait désormais loisible de remplacer l’impétrante Elisabeth par un homme. Cet « homme providentiel » (sic) dont rêve une classe politique qui n’en finit plus de s’abandonner au fantasme du grand homme, ignorant que celui-ci porte en lui l’hubris que les Français leur ont pourtant sévèrement reproché le 19 juin dernier. Aux hommes l’exécutif, aux femmes le législatif, le fort et le doux, car en toute chose, il faut mettre fin au chaos et retrouver l’ordre habituel. Surtout quand le doux prétend jouer au fort !

Dès lors les jours d’Elisabeth semblent compter. La voilà, à son tour et comme toutes les femmes de pouvoir, victime de ce que j’ai appelé le « syndrome de la femme à barbe » et qui illustre une autre théorie issue des gender studies, celle de l’incongruité. Selon son auteure Alice Eagly, chercheuse en psychologie, les femmes dans des postes de leadership se voient toujours infliger ce double reproche de n’être à la fois pas assez « femme » et pas assez « leader ». Il faut dire que notre stéréotype de ce qu’est une femme (doux, émotionnel, diplomate, considérant etc.) ne se marie guère avec notre stéréotype du leader (fort, rationnel, charismatique, affirmé etc.). Ainsi une femme qui endosse les habits du leader se voit elle invariablement reprocher de n’être pas assez femme (Elisabeth borne est « un robot » qui doit « fendre l’armure ») en même temps que pas assez leader (Elisabeth Borne est « transparente », « le fantôme de Matignon »), car si le stéréotype masculin (fort, rationnel, charismatique, affirmé etc) colle parfaitement avec celui du leader, en revanche quand il se conjugue au féminin, il produit le même effet sur l’entourage que celui que suscitaient les femmes à barbe exposées dans les foires il y a à peine un siècle. C’est bizarre, cela nous met mal à l’aise, cela doit cesser !

Il sera donc intéressant de voir si nous sommes capables de surmonter le sentiment d’étrangeté que suscite une femme à Matignon, qui plus est avec un style de leadership totalement différent de ce qui est attendu dans la pratique Française habituelle de la Vème République.


Car en réalité de quoi Elisabeth Borne est-elle le nom ? Notre première ministre, pour laquelle j’avoue sans honte une certaine admiration, est le nom de notre détermination et de notre courage quand vient le temps de changer nos mœurs politique et une pratique du pouvoir dont les Français ne veulent plus, dont le pays et nos institutions n’en peuvent plus. Elisabeth Borne, est le leader d’une nouvelle ère politique qui veut en finir avec l’inflation des égos et du pouvoir exécutifs, qui réclament un leadership soucieux d’équilibre et de respect des pouvoirs, qui rêve de coalition à l’allemande et pourquoi pas, d’une première ministre en forme de chancelière. Personne n’a jamais trouvé Angela Merkel charismatique, encore moins présidentielle. Et pourtant. Si Elisabeth Borne reste à Matignon, nous saurons que nous sommes en train de changer. Si elle est remerciée, il est à craindre qu’il nous faille à nouveau recommencer, faute de maturité.

Dernière mise à jour : 6 juil. 2022

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