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« Lisez les meilleurs livres, de peur de les lire jamais ».

Cet aphorisme de Henri-David Thoreau, philosophe et naturaliste américain du XIXe siècle pourrait s’appliquer à l’un de ses plus fameux textes posthumes, La désobéissance civile.

Ce mercredi, un décret de dissolution des Soulèvements de la Terre, collectif écologiste revendiquant la désobéissance civile, sera présenté en Conseil des ministres. Une décision en forme d’énième épisode d’un feuilleton qui s’écrit au fil des outrances du ministère de l’Intérieur d’un côté, et des militants écologistes radicaux de l’autre. Pour le premier, la désobéissance civile est le nouvel épouvantail des violences collectives et de l’« écoterrorisme » que l’on agite pour rassurer une droite en panique morale, pour les seconds, elle est le totem d’immunité d’agissements violents que l’on brandit pour radicaliser une extrême gauche en état de panne politique.

Deux acceptations aussi erronées et dangereuses l’une que l’autre pour l’État de droit comme pour l’écologie politique. Deux acceptions qui n’ont guère de lien avec la désobéissance civile, telle que pensée par Thoreau. Démonstration.

 

La désobéissance civile selon Thoreau : une notion déformée par l’État et les militants radicaux


Commençons par dire qui était réellement Thoreau, ce libertarien qui adorait la nature autant qu’il détestait l’État, qui louait la conscience et la liberté individuelles autant qu’il dénonçait les politiques injustes et les majorités complices.

Les deux années qu’il passa seul dans une cabane au bord d’un étang du Massachusetts donnèrent lieu à l’un des manifestes écologistes les plus lus au monde : Walden ou la vie dans les bois. Les six années où il refusa de payer l’impôt à un État soutenant l’esclavage et une guerre coloniale inspirèrent quant à elles son ouvrage posthume, La désobéissance civile qu’incarnèrent un Martin Luther King ou un Gandhi, deux autres figures de la résistance non-violente, deux autres grands croyants comme lui, ce protestant contradictoire qui détestait l’église mais parlait de la Nature, de l’Homme et de la liberté avec des accents christiques.

Je suis toujours dubitative lorsque j’entends une partie de la gauche radicale et écologiste se réclamer de la désobéissance civile et avec elle de l’héritage de Thoreau :

Rien de commun en effet entre Thoreau, ce libertarien, farouchement anti-étatiste, et l’obsession étatiste de la gauche radicale française :

J’accepte de tout cœur la devise suivante : le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins.

Ainsi commence le texte de La désobéissance civile qui dit d’emblée où se situe Thoreau : dans la plus parfaite tradition libérale, ce descendant de Français venus de Guernesey, pose le primat de l’individu et des libertés individuelles (de conscience, de propriété, d’expression, de circulation notamment) sur l’ingérence et la raison de l’état. « Je pense que nous devons d’abord être des hommes, et des sujets ensuite » affirme-t-il pour enfoncer le clou de l’individualisme. Un individualisme que l’extrême gauche (comme l’extrême droite) française rejette avec la même virulence non documentée que le libéralisme.

Jamais Thoreau n’appellera à la mobilisation et au coup de force collectif.

Au contraire, pour lu, réformer la société et contester le gouvernement s’appuient toujours sur l’exemple individuel donné, faisant appel, non à la révolte collective et au chaos général, mais au désir individuel de perfectionnement et de conformité à l’ordre naturel.


« Tout homme plus juste que ses prochains forme déjà cette majorité d’une personne » écrit-il défendant la valeur de chaque acte exemplaire pour convaincre le gouvernement de revoir ses positions injustes :


« Je ne cherche pas à me quereller avec aucun homme ni aucune nation […] je cherche plutôt un prétexte pour me conformer aux lois du pays et je ne suis que trop prêt à m’y conformer […] chaque année, au retour du percepteur je me trouve disposé à considérer les actes du gouvernement de l’Union et ceux des États, ainsi que l’esprit du peuple, pour y découvrir un motif de m’y conformer. Je crois que l’État sera bientôt à même de me débarrasser de cette tâche et je cesserai d’être alors un meilleur patriote que mes citoyens. Notre Constitution, malgré tous ses défauts est très bonne, notre droit, nos cours de justice fort respectables ».


Thoreau ne passa qu’une nuit en prison pour avoir refusé de payer l’impôt. Jamais il n’utilisa ni n’invita à utiliser d’autres moyens, y compris violents.

Et malgré toute sa détestation des politiciens et de l’État, il respectait ce dernier et surtout, surtout, respectait son voisin :

« Je n’ai jamais refusé de payer l’impôt sur les routes parce que je suis aussi soucieux de me montrer bon voisin que d’être un mauvais administré ».

Son souci de l’autre et des libertés individuelles distingue ainsi radicalement Thoreau de toutes les actions contemporaines portant atteinte à la libre circulation ou la propriété individuelle.


Rien de commun non plus entre Thoreau, ce défenseur des vertus du travail manuel et de l’élévation spirituelle et le matérialisme anticapitaliste de la gauche radicale. Thoreau, grand contemplatif, aimait passionnément travailler le bois et se livrer à des calculs mathématiques. Après des études courtes, ce fils d’un fabriquant de crayons rejoint l’entreprise et met toute son énergie à inventer un nouveau prototype. Cependant, c’est la profession d’arpenteur qui occupa ce « célibataire de la nature et de la pensée » selon les mots d’Emerson.


Pour Thoreau, le travail était comme la nature, aussi tangible que spirituel, aussi nécessaire que respectable, bien loin d’un quelconque droit à la paresse version EELV. Thoreau fut aussi un défenseur du libre-échange, se battant contre les droits de douane qui bridaient les échanges et la circulation tout en dénonçant le commerce triangulaire, qui pour lui ne relève plus de l’économie mais de la justice et des droits naturels de l’Homme. Et parce qu’il vivait sobrement, estimant que l’on est riche de ce que l’on abandonne, on en fit l’apôtre de la sobriété heureuse, oubliant que dans son cas la sobriété n’était en rien une contestation du capitalisme ou de l’entreprise, encore moins une théorisation de la décroissance économique.


Le secret du bonheur de Thoreau fut toujours dans la liberté individuelle radicale, dans la croissance spirituelle que procurent la connexion à la Nature et le perfectionnement individuel. Rien à voir ici avec le matérialisme et le collectivisme autoritaire de la France Insoumise.


À vrai dire, ceux qui devraient se réclamer de Thoreau en France ne sont pas encore arrivés sur la scène politique française. Entre les écologistes radicaux anticapitalistes et décroissants et les écologistes tièdes capitalistes et technosolutionnistes, il existe une troisième voie, celle d’une écologie radicalement libérale à la manière de Thoreau. Une écologie qui tient ensemble le combat pour la liberté et la Planète, une écologie qui fait le pari des individus plutôt que de l’État, une écologie qui libère les personnes et dérange les conformismes plutôt qu’une écologie qui contrôle les individus et impose sa bien-pensance, une écologie attachée au libre-échange mais soucieuse de la justice des règles de l’échange, une écologie qui offre un nouveau récit spirituel et un horizon de croissance personnelle à chacun. Une écologie de libertés, en forme de supplément d’âme.

Voilà pourquoi, tandis que l’État comme les mouvement radicaux, chacun à leur façon et avec leurs outils, relativisent les libertés individuelles et sacrifient le projet écologique, il est plus que temps d’arpenter l’œuvre de Thoreau et d’ensauvager, enfin, les libéraux et tous les défenseurs des libertés de ce pays !

Tribune parue dans Contrepoint, le 19/09/2023




Le Rassemblement national s’apprête à proposer une Déclaration des droits des nations et des peuples. Cette nouvelle, annoncée ce 16 septembre par l’éternelle candidate du parti d’extrême droite français, n’a pourtant suscité aucune réaction de la part des partis dits républicains : de la droite à la gauche en passant par la majorité, c’est le silence radio.

La critique de ce projet politique antilibéral, d’une simplicité populiste confondante (revenir sur la notion de droits naturels, restreindre les libertés individuelles et économiques pour in fine instaurer un État autoritaire, protectionniste et xénophobe à la main d’une nouvelle élite populiste) semble pourtant à la portée de n’importe quel politique nanti d’un exemplaire de L’État de droit pour les nuls ou Des aventures de Tchoupi au pays de la démocratie.

 

Concurrencer la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen


L’intention est en effet limpide : il s’agit de concurrencer (avant de la remplacer) la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) et d’en finir avec le cadre constitutionnel et le projet politique qui sont les nôtres depuis la Révolution de 1789 ; un cadre fondé sur l’État de droit (et non le droit de l’État) qui garantit, dans et par la loi, des libertés et des droits égaux à chaque citoyen face à toute forme d’absolutisme, d’autoritarisme, et bien sûr d’injustice.

En effet, cette nouvelle déclaration qui prétend faire primer les intérêts des peuples et des nations (définis on l’imagine par l’État français et son gouvernement RN) sur ceux des « organismes supranationaux » ne vient pas uniquement menacer les libertés économiques (de commerce, de circulation, d’entreprendre) : en réaffirmant le pouvoir des États, le Rassemblement national poursuit en réalité son œuvre illibérale habituelle de relégation des droits et libertés individuelles.


Cette attaque frontale du Rassemblement national à l’endroit des libertés, et plus largement de l’État de droit n’est pas nouvelle.

Rappelons rapidement deux aspects traditionnels du projet de ce grand remplacement idéologique :


Inscription dans la Constitution du principe de priorité nationale 

Avec cette mesure, la loi et la justice ne seraient plus les mêmes pour tous en France, et les droits et libertés seraient modulables selon que vous êtes Français ou étranger (étranger n’étant pas défini…). En d’autres termes, de la discrimination et de la ségrégation (à l’emploi, en matière de peine de prison, de droits sociaux notamment). Il s’agit ici de violer le premier principe de l’État de droit, celui d’égalité des citoyens devant la loi, résumé par l’article 1 de notre DDHC : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».


Fin de la supériorité automatique du droit international et européen sur la loi française 

Il s’agit de faire sortir la France (Frexit) des traités européens et internationaux, notamment ceux qui exigent de nous le respect des droits de l’Homme et des libertés économiques. Le non-respect de ces traités, outre qu’ils décrédibiliseront la France sur le plan international, entraînera la condamnation et l’exclusion du pays de ceux-ci, avec les pertes de ressources économiques et d’assistance mutuelle en cas d’agression militaire qu’ils impliquent, nous obligeant à envisager d’autres alliances avec des pays de traditions, disons… moins libérales.

 

Rupture avec l’État de droit

Ces deux exemples montrent à eux seuls la rupture que prévoit le Rassemblement national avec les principes de l’État de droit, que ce soit sur le plan intérieur comme sur le plan international. Un destin à la hongroise en somme, ce pays qui tend à criminaliser l’homosexualité et l’avortement, a réduit la liberté de la presse et encadré le pouvoir judiciaire.


Ce qu’annonce Marine Le Pen avec sa Déclaration des droits des nations et des peuples n’apporte donc rien de nouveau sur le fond, à savoir un projet étatiste, nationaliste et liberticide.


L’innovation aujourd’hui porte plutôt sur la forme avec la proposition d’un texte concurrent de la Déclaration des Droits de l’Homme et qui fleure bon le futur texte sacré de l’idéologie réactionnaire (au sens d’un retour sur les acquis de la Révolution française) et autoritaire qui est celle du Rassemblement national depuis sa création. Une idéologie qui vise à effacer l’idée révolutionnaire et libérale des droits naturels et de la liberté individuelle comme fondements de nos démocraties libérales.


Le génie (si l’on peut l’appeler ainsi) du Rassemblement national est de nous vendre sa contre-déclaration (et sa contre-révolution) en mobilisant la rhétorique des tyrans si bien décrite par Orwell dans son roman 1984. Une méthode visant à semer la confusion dans le camp de la liberté en en retournant les valeurs telles des peaux de lapins : « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ».

Ce samedi, Marine Le Pen nous a livré du 1984 dans le texte lorsqu’elle appelle à la mise en place d’une « Déclaration des droits des nations et des peuples » (pour la) création de nouvelles protections pour les libertés humaines et la pluralité des cultures nationales », alors qu’il s’agit précisément de restreindre les droits et libertés, tout en imposant le projet d’une société du protectionnisme et du repli, aux relents xénophobes éloigné de tout souci de « pluralité ».


L’autre aspect du « génie populiste » est de s’appuyer sur nos faiblesses, en l’occurrence celle de la loi.


Ici, il nous faut faire un bref détour par l’histoire du libéralisme politique et en son cœur, le dialogue entre le domaine des droits et le domaine de la loi.

Historiquement, le premier libéralisme a misé sur la loi : dans cette perspective, comme le note Montesquieu, un droit individuel ne peut naître qu’à l’abri des bonnes lois car « Là où il n’est pas de loi, il n’est pas de liberté », pour reprendre les mots de Locke ; à la condition, pourrait-on ajouter de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, garantie des excès et abus de pouvoir de la part de l’État et des hommes qui gouvernent.


De fait, dans notre imaginaire collectif, la loi est la gardienne de nos libertés. Dès lors, pensons-nous, habitués que nous sommes à la démocratie libérale, ce qui passe par la loi ne peut être dangereux pour nos libertés ou nos droits. Cette association n’est pourtant ni une évidence ni une garantie. Récemment, les multiples lois d’urgence et de sécurité ont malmené comme jamais nos libertés (comme en témoigne la jurisprudence du Conseil d’État) et la loi elle-même ne semble pas toujours à même de garantir les droits comme le montre la nouvelle manie de la droite et de l’extrême droite qui proposent des modifications de la Constitution et du domaine de la loi comme on se verse une tasse de café le matin.

 

L’appétit des populistes dans les pas du Rassemblement national


Aujourd’hui, la faiblesse de la loi républicaine aiguise l’appétit des populistes.

Utilisant l’association traditionnellement positive et protectrice entre la loi et les droits et libertés, les populistes savent tordre la première et s’en saisir pour légitimer leurs attaques systématiques à l’endroit des libertés et au bénéfice d’un État autoritaire, qui seul distribuera des libertés (re)devenues des privilèges. À l’Etat de droit et aux droits des citoyens, succèdent ainsi les seuls droits et prérogatives de l’État, légitimés par des motifs nationalistes (au nom de la nation) ou populiste (au nom du peuple).


Face à ce constat alarmant, il est encore temps pour ceux qui se disent libéraux ou partisans de la liberté, d’entendre les cris sourds du pays qu’on enchaîne pour paraphraser le célèbre Chant des partisans. Il est encore temps de se demander pourquoi nos partis politiques supposément républicains nous livrent ainsi pieds et poings liés à cet ennemi de l’intérieur.

Car c’est bien l’image que donnent aujourd’hui les partis politiques aux citoyens, eux qui ont pris leurs responsabilités en votant pour Emmanuel Macron en 2022, et attendaient sans doute que leurs partis d’origine les imitent en faisant montre d’un peu plus de courage politique et d’un peu moins de paresse idéologique dans la lutte contre l’extrême droite.

En lieu et place, nous assistons à un travail d’équipe et un concours de la balle dans le pied et du déroulement de tapis rouge.


À droite, les Républicains ont opté pour la stratégie du reniement de notre héritage révolutionnaire. Pas un élu LR, même du côté des quelques libéraux qui y survivent encore, qui nous épargne son couplet sur la CEDH qu’il faut contourner tandis que la ligne Wauquier-Ciotti, au nom de l’ordre et de l’État, réaffirme régulièrement son reniement de l’esprit de 1789 et son alignement sur les positions du Rassemblement national en matière d’immigration.


À gauche, LFI, EELV et une fraction du Parti socialiste ont fait le choix du dévoiement. Pervertissant le combat historique pour les droits, le wokisme dans ses excès assigne les individus à leurs différences, hiérarchise les luttes et les droits, et restreint toujours plus les libertés individuelles, tandis que certains leaders de la gauche affichent une bienveillance douteuse à l’endroit de régimes illibéraux. Au nom de l’anticapitalisme et de l’antilibéralisme, ceux-là ne font guère mieux que leurs opposants de droite : préférant comme eux les identités aux individus et exigeant du droit qu’il se conforme à leur morale supposée supérieure.


Au centre enfin, c’est l’effacement qui prévaut, celui de la culture de l’État de droit. Paternalisme d’État et excès de pouvoir sont désormais la règle, la culture du passage en force au Parlement et la normalisation des restrictions de libertés (vie privée, manifestation, association) aussi. Et toujours cette idée folle et mortifère selon laquelle nous ferions reculer le Rassemblement national en reprenant ses idées. Comme si l’enjeu n’était que de faire perdre une candidate, alors qu’il s’agit de faire échouer son projet, pas d’y collaborer.

On reproche souvent aux Français leur apathie démocratique, mais n’est-elle pas le miroir de celle de nos leaders politiques ?


Ceux-là mêmes qui ne prennent plus la peine de convaincre les Français que la liberté et les droits sont plus que jamais le moteur de l’émancipation individuelle, de la prospérité économique et du progrès social. Incapables de la moindre pédagogie de l’État de droit, dépourvus d’imagination lorsqu’il s’agit de livrer un récit républicain, voilà que surgit devant leurs yeux le défi ultime : le mot qu’il conviendrait de mobiliser pour décrire l’alternative au projet populiste du Rassemblement national est lui-même désormais banni de leur vocabulaire.


Ce mot, maudit, perdu, dont plus personne ne semble plus vouloir en partage, c’est celui de liberté. Alors, tandis que passe le vol noir des corbeaux, nous restons muets, incapables de répondre, de raconter une histoire, de redonner de l’espoir.

Les résistants nous manquent plus que jamais, les poètes aussi pour imaginer qu’enfin, « par le pouvoir d’un mot, nous pourrons recommencer notre vie, parce que nous sommes nés pour la connaître, pour la nommer, Liberté ».




" J'ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j'entends le triomphe de l'individualité, tant sur l'autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d'asservir la minorité à la majorité » 



Benjamin Constant, Mélanges de littérature et de politique, préface, 1829



Faut-il porter un pull sur les épaules pour être libéral ?


C’est la question que je me pose ce jour d’automne 1995, dans la grande salle de l’Université catholique de Lille où j’assiste à ma première réunion politique, celle d’Alain Madelin. Le héraut libéral Français y est venu présenter son dernier livre, « Quand les autruches relèveront la tête », quelques mois après son « départ » du gouvernement Juppé et une parenthèse libérale de 101 jours à la tête du Ministère de l’économie et des finances.


J’ai 19 ans, je viens d’être reçue à Science-po Lille, j’ai quitté Paris, blessée par des attentats meurtriers et je m’installe dans la cité de la Déesse. Je tombe amoureuse du Nord, définitivement.


Quelques mois plus tôt, j’ai voté pour la première fois, avec enthousiasme, pour Jacques Chirac. Ma première élection présidentielle, mon premier bulletin glissé dans l’urne : tel un amour de jeunesse, il ne s’oublie pas, aucun après lui ne me procurera autant d’émotions, à la fois simples et fortes. A l’époque, je suis chiraquienne. Je le suis pour des raisons familiales, je viens d’une famille gaulliste et de droite qui ne s’est jamais remise de l’élection de Mitterrand. Et je le suis aussi pour des raisons sentimentales, c’est en regardant à la télé les débats des législatives de 1986, que je découvre Chirac et avec lui ma passion pour la politique et le débat d’idées qui me fait demander à ma mère : « maman, il faut faire quoi pour faire comme les Messieurs à la télé » ?


Chez Chirac, j’aime ce qui pour moi est la plus précieuse des qualités d’un Président des Français, la capacité presque animale à tisser un lien sentimental avec eux. Et puis, j’aime la bière, le mot couilles, palabrer au bistrot avec les gens, la fracture sociale et bien sûr, les perdants magnifiques. 


A science-po, je découvre l’effervescence militante des étudiants. Je l’observe de loin, car si la politique me passionne, je n’ai jamais été militante, j’ai trop le gout de la contradiction et de la libre expression.


Cet été-là, un autre s’est aussi montré un peu trop libre dans son expression, c’est le nouveau ministre de l’Économie et des Finances, Alain Madelin. « L’ultra-libéral, l’iconoclaste, dont la provocation constitue une constante du parcours politique » s’est fait mettre à la porte du gouvernement, la faute aux retraites, déjà.


En 1995, Alain Madelin est l’un des premiers à soutenir Chirac, apportant sa caution libérale à un candidat qui ne l’est pas tant que cela, mais qui semble prêt à bousculer le système. Bousculer, provoquer, libérer les énergies, Alain Madelin n’aime rien tant que cela. Et c’est précisément cela, bien plus que les idées qu’il défend ce jour-là devant les jeunes bien peignés de « la catho », qui font de lui, à mes yeux, un libéral. C’est en l’écoutant, assise au fond de la salle, que je trouve ma famille politique : celle des électrons libres, des iconoclastes et des indépendants, celle des agents de changement, des ingérables, des résistants et de tous ceux qui continuent de vouloir la révolution « des libertés individuelles », celle des Lumières, de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, celle du 4 août, celle de l’abolition de l’esclavage, celle de la 1ère de nos République. 



Je ne porte pas mon pull sur les épaules, je suis rarement bien peignée et je suis une fille. Je suis aussi une ancienne « prolote », qui pense qu’avant de disserter sur la liberté en économie dans les amphithéâtres, il faut d’abord s’atteler à la conquérir dans la « vraie » vie, au pieds des tours et au fond du porte-monnaie. Sur le papier, je n’ai pas le profil du « libéral type ». Et pourtant, malgré le gouffre sociologique que je perçois entre mon parcours et celui de l’assemblée présente, à cet instant, je me sens profondément, philosophiquement et intimement libérale. Ce jour de 1995, je trouve donc ma famille politique en même temps que j’en comprends tout le tragique : le libéralisme avant d’être une philosophie politique, économique ou juridique est d’abord une ontologie, une manière d’être, de penser et d’agir.


Et celle-ci, clairement ne semble pas prédisposer ses hérauts à l’exercice durable du pouvoir. Ce qui, il faut bien l’avouer, pose un problème lorsque que l’on veut comme Alain Madelin et d’autres, avant et après lui, passer « des idées aux actions ». Mais voilà, être libéral, c’est aussi avoir le goût de la contradiction, alors je m’engage sur la voie, assume mon destin d’électron libre et d’« ingérable » et construit ma déclinaison singulière du libéralisme, histoire de sublimer cette pulsion de liberté qui m’anime depuis toujours. Il se passera plus de 20 ans, avant que je ne me décide à défendre les idées libérales dans l’arène politique, avant cela, la vie me fera le cadeau d’exercer pendant 15 années le plus beaux des métiers pour les esprits libres : celui de scientifique et d’enseignante. Mais le combat reste le même, permettre à chacun, à chaque individu, d’exercer sa liberté, avec toute l’autonomie qu’elle exige et la responsabilité qu’elle- implique. 



25 années se passent.

Ce soir de juin 2021, c’est la « grande soirée des libéraux » à deux pas de la place de Clichy. A l’initiative de l’association des étudiants libéraux, Students for Liberty, sont réunis toutes les figures de la petite famille libérale Française, ou du moins ce qu’il en reste au temps des libertés confinées par la pandémie.


En découvrant l’assemblée présente, composée d’une majorité de jeunes hommes bien mis, je souris et je repense à cette réunion publique de 1995. Rien n’a changé, le libéralisme est toujours un gros mot en France, les libéraux Français sont toujours en (des)ordre dispersé et les jeunes hommes bien peignés, mais cette fois-ci, je ne suis pas dans le public, mais parmi les trois femmes invitées à prendre la parole pour partager leur « vision du libéralisme », juste après la philosophe Monique Canto-Sperber et la chef d’entreprise Virginie Calmels. Je suis la seule élue de la soirée.


Peu de politiques se revendiquent libéraux en 2021, quant à moi mon coming-out est définitivement achevé : quelques semaines plus tôt Le Point a brossé un portrait de ma pomme en « vigie libérale de Macron » me décrivant comme un « électron libre », « iconoclaste », « voix discordante ». Il semble bien qu’en 25 ans je n’ai pas trahi l’esprit de ma famille ! 


Ce soir-là, je commence comme à mon habitude par un trait d’ironie, moquant cette réunion non mixte, et invitant l’assemblée à ne plus s’effrayer d’associer les mots femme et liberté ! Ce que je partage, notamment avec les jeunes présents, est précisément ce que j’ai compris 25 ans plus tôt : être libéral, ce n’est pas (que) porter un pull sur les épaules, placer une citation obscure de Frédéric Bastiat dans une phrase, vouer un culte secret à Margareth Thatcher, disserter de l’efficience du marché dans un colloque à Dauphine ou encore écrire une tribune dans Le Figaro sur le déficit des comptes publics. Et parce que l’on ne m’a donné que 5 minutes pour convaincre cette masculine assemblée, tout juste remise de ma blague féministe, je fais court.


On reconnait, selon moi, le libéral à deux obsessions majeures et complémentaires: la première est un attachement viscéral à l’individu et une confiance placée dans sa conscience, sa liberté et sa responsabilité ; la seconde est une vigilance instinctive face à l’excès voire l’abus de pouvoir, notamment celui de l’Etat, qui viendrait à menacer les libertés individuelles. 


Mais on reconnait aussi le libéral à sa tournure d’esprit et son attitude face à la vie dis-je : avant que d’être libéral sur le plan philosophique, politique ou économique, il est d’abord un homme ou une femme libre, désireux de sa propre liberté et soucieux de celle des autres. Car peu nous importe finalement ce soir-là de définir ce qu’est le libéralisme. C’est là un enjeu d’académiques, et je ne le suis plus désormais après 15 ans de bons et loyaux services rendus à la science. L’important c’est de comprendre ce que signifie concrètement, au quotidien, être libéral et surtout, surtout, d’agir pour les libertés dans une société qui perd le gout de la démocratie.


Être libéral aujourd’hui, conclue-je, avec une touche d’exotisme intellectuel, est moins une position ou une conviction politique, qu’une manière de penser et d’agir singulière, c’est un art martial, un tao : une voie.



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