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DE MELENCHON A DARMANIN, LA FRANCE EN PLEINE CRISE D'HUBRIS

Dernière mise à jour : 15 nov. 2022



Tribune parue le 7 juin 2022


La députée, chercheuse spécialiste du pouvoir, fustige la propension de trop d'élus à perdre le sens de la mesure, s'estimant au-dessus des lois et des "gens du commun".









« La République, c'est moi ! Personne ne me touche, ma personne est sacrée".

"Ça fait 6 fois que l'on réclame ma démission au Parlement, alors n'hésitez pas Madame la sénatrice !"

De quel syndrome de notre vie politique ces deux phrases sont-elles le symptôme ?

La première affirmation est de Jean-Luc Mélenchon, lors de la perquisition du siège de son parti, La France Insoumise, dans le cadre d'une enquête sur le financement de la campagne présidentielle de 2017 ; la seconde proposition est de Gérald Darmanin lors de son audition récente au Sénat faisant suite au chaos survenu lors du match Liverpool-Madrid au stade de France. Mis en cause, le premier se proclame intouchable tandis que le second se vante d'être indémissionnable. Chacun avec son style, l'un avec virulence, l'autre avec insolence, rappelle à ses interlocuteurs qu'il n'est pas "comme eux" et qu'à sa personne s'applique dès lors un traitement (de faveur) différent. Eux, ce sont les représentants de la loi, que ce soit la police en charge de l'appliquer ou les parlementaires en charge de la voter. Eux, ce sont les Français, les "gens" ordinaires, le peuple dont ironiquement ces deux-là s'arrogent chacun à leur façon le monopole du porte-parolat.

Ce sentiment de supériorité, pour ne pas dire d'impunité, est caractéristique d'une affection bien connue des hommes de pouvoir : le syndrome d'hubris. Cette maladie du pouvoir qui vous fait perdre le sens de la mesure et vous conduit à croire que vous êtes au-dessus des hommes et des lois, affranchis de la réalité ordinaire. Ces derniers temps, la France semble traverser une véritable crise d'hubris, une crise qui en dit long sur l'état de nos leaders politiques, de nos institutions, mais surtout de nous-mêmes, nous les Français, ce peuple si (trop) politique.

L'hubris, c'est ce syndrome qui abîme la psyché de ceux qui exercent le pouvoir trop longtemps ou qui le désirent trop ardemment. En soi, rien de nouveau sous le soleil, car de Montesquieu pour qui "c'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser" à Lord Acton pour qui "le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument " en passant par Suétone et sa Vie des douze Césars, l'étude des effets corrupteurs d'un trop grand pouvoir ou désir de pouvoir sur la santé mentale est une tradition ancienne chez les historiens et philosophes.

Plus récemment, les chercheurs, dont je suis, se sont penchés sur les caractéristiques psychologiques de l'hubris chez les leaders politiques et économiques. Des travaux qui nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans la tête de ces hommes dont le pouvoir semble avoir altéré irrémédiablement le sens de la mesure. Pour mieux les comprendre, je vous propose un petit voyage en trois arrêts dans la tête de ceux que le pouvoir intoxique pour reprendre le terme de David Owen, médecin et ancien Foreign Secretary devenu pionnier de la clinique de l'hubris politique.

De la Comédie Française à l'Ile de la Cité

Le premier arrêt nous emmène à la Comédie Française, dans ce théâtre qu'est la politique où se déploie à l'envi le sentiment grandiose de soi qu'éprouve notre leader souffrant d'hubris. Car plus que tout, ce dernier aime à se mettre en scène, ne boudant jamais la grandiloquence et les provocations afin d'être l'unique centre de l'attention, le préféré de tous. Ses gestes, ses propos, veulent donner l'impression de la (toute-)puissance : il veut tout, peut tout, ose tout. Son ambition comme sa capacité sont sans limite. Il est ce que l'on appelle un "sur-confiant", surestimant sans cesse ses chances de succès et de réussite, ignorant l'incertitude dans un monde pourtant si incertain. Et quand la réalité se rappelle à lui, la mauvaise foi ou le déni lui permettent de démontrer que ce n'est pas lui qui se trompe, mais la vérité qui est dans l'erreur ! En toute logique (sic), il se considère, du fait de son talent, comme le seul qualifié pour occuper le poste le plus élevé et la plupart des postes en général : cumul des mandats et des fonctions font de lui cet être éternel et perpétuel, un projet fou qui lui tient lieu de quête frénétique et existentielle. Il nous énerve, nous met en colère mais toujours nous fait réagir, nous contraignant à ne voir que lui. Mais après tout, dans le pays de Molière, qui pourrait bien

Notre deuxième arrêt nous conduit dans la galerie des glaces du château de Versailles. Car notre leader n'aime rien moins qu'on lui renvoie à l'infini une image flatteuse de lui-même. La critique lui est insupportable : il y répond généralement par le mensonge, l'agressivité ou la mauvaise foi et fait montre à l'endroit des impudents d'un manque de considération crasse. Car ces derniers ne sont pas pour lui des sujets mais autant de miroirs tendus qui, s'ils ne lui renvoient pas une image flatteuse, s'exposent à quelques représailles, comme cette "machine Schiappa" que l'on balaie d'un revers de main en conférence de presse, ou cette journaliste un peu trop piquante que l'on exhorte fermement au calme durant une interview. Mais allons bon, dans le pays du roi soleil et de l'exception française, il faut bien, pour faire rayonner l'image nationale, en exiler quelques-un(e)s à l'ombre !

Notre dernier arrêt nous conduit sur l'Ile de la Cité, au Palais de justice. Un endroit où notre leader n'aime guère être convoqué. S'estimant au-dessus des lois et des "gens du commun", il s'affranchit facilement de l'éthique et ponctuellement de la loi. Et s'il est pris la main dans le sac, il inversera les rôles à son profit ou dénoncera la justice elle-même ! "La victime c'est moi" s'exclame celui-ci, "c'est une justice politique" accuse celui-là. Car tous semblent oublier que notre leader tient son pouvoir et sa valeur de quelque chose de bien supérieur à la loi. Quand l'un s'exclame : "quand je serai élu !" alors qu'il n'est candidat à aucune élection ou quand l'autre semble si convaincu de son éternelle reconduction, les deux se contentent de nous informer de ce que nous persistons à ignorer : l'élection, les concernant, n'a rien à voir avec le suffrage populaire, elle est une onction sacrée, dont ils sont oints par la grâce d'une autorité supérieure avec laquelle ils entretiennent une relation à l'évidence exclusive. Mais, ma foi, dans le pays de Napoléon, qui pourrait leur reprocher, après avoir mené tant de batailles, de vouloir "attaquer le soleil, en priver l'univers ou s'en servir pour embraser le monde" pour citer les mots du divin marquis ?

Car de quoi nous plaignons-nous exactement ? Nous avons les politiques que nous méritons, pour reprendre le mot de Chloé Morin. Nous savons bien que l'hubris n'est rien moins que le double obscure du charisme et l'ethos des tyrans et des populistes. Ces leaders nous séduisent, au sens premier du mot : se ducere, en latin, qui signifie "conduire hors du chemin". L'hubris nous conduit toujours hors du chemin, celui de la démocratie et de l'Etat de droit, qui précisément ne place rien au-dessus des hommes si ce n'est la loi. Voilà pourquoi nous avons besoin des partis politiques et du pluralisme, voilà pourquoi nous avons besoin du parlement et de la loi, mais plus que tout, voilà pourquoi nous avons besoin de l'histoire : pas seulement celle d'Icare qui vola trop près du soleil, mais celle qui sans cesse se répète, y compris à quelques centaines de kilomètres de Paris. L'hubris conduit toujours à la Némésis, à la destruction. Et le jour où la France brûlera, ces leaders-là ne regarderont pas ailleurs : tel Néron, ils contempleront le théâtre de flammes avec la jouissance de ceux qui se savent être l'étincelle qui a fait se consumer notre démocratie. Ces leaders-là ne changeront pas, c'est à nous de changer et de vouloir d'autres visages, d'autres hommes et d'autres femmes, pour notre démocratie : à nous d'opposer la raison collective aux folies individuelles.


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