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EMMANUEL MACRON ET LA VICTOIRE PAR CHAOS

Dernière mise à jour : 6 juil. 2022


"Plus que jamais, c’est d’une nouvelle offre politique libérale dont nous avons besoin"

Une victoire par chaos, ainsi pourrions-nous qualifier la campagne des législatives et son résultat, une victoire à la Pyrrhus pour la majorité présidentielle mais aussi et surtout pour notre vie politique, soumise plus que jamais à la logique populiste dont le chaos démocratique est le carburant.

Chaos, ce mot résonne désormais comme un nouveau sous-jacent de la vie politique. Trois semaines après le « chaos du stade de France », le dieu des abimes est sur toutes les lèvres, de toutes les dénonciations, de toutes les prophétisassions. « L’expérience ne nous offre au premier coup d’œil qu'un chaos suivi d'un autre chaos », cette phrase du grand penseur libéral John-Stuart Mill pourrait être inscrite au frontispice politique que sont devenus les bandeaux des chaines d’info pour résumer la campagne des législatives 2022. Prenons un jour de cette campagne au hasard, le 15 juin, jour de l’invention du paratonnerre par Benjamin Franklin. C’est un jour orageux, un jour de campagne des législatives. Ce jour-là, un conseiller (EELV) de Paris appelle à « Mettre le chaos et l’anarchie à l’Assemblée nationale » et Bruno Retailleau (LR) de résumer : « Macron c’est le désordre et Mélenchon, c’est le chaos ». Non loin de là, sur le tarmac, le premier (LREM) réclame pourtant : « une majorité solide pour assurer l’ordre, car rien ne serait pire que d’ajouter un désordre Français au désordre mondial » tandis que le second (LFI), avec son sens du retournement habituel intitule sobrement sa conférence de presse « Macron, c’est le chaos ! » dénonçant en vrombissant son « bilan chaotique ». Vous n’y comprenez plus rien ? Normal, c’est précisément le principe du chaos, un « ensemble de choses sens dessus dessous et donnant l'image de la destruction, de la ruine, du désordre » si l’on en croit Larousse. Le Kháos, c’est la grande confusion générale, mais aussi le gouffre sans fond et la chute sans fin.


A la question « que révèle cette rhétorique du chaos sur notre état politique général ? », je répondrais qu’elle prouve que nous sommes déjà entrés de plein pieds dans une ère populiste dont certains pensaient, à tort, avoir repoussé la date d’entrée de quelques années. Une ère qui se nourrit tel un ogre de notre chaos démocratique.


Dans son ouvrage, l’esprit démocratique du populisme, le sociologue wébérien Fédérico Taragonni[1] propose un idéal-type du populisme qu’il décrit non pas comme un style discursif (la démagogie) ou une personnalisation du pouvoir (le césarisme) mais comme un mode d’action politique à part entière, adopté par certains leaders politiques de tous bords et plébiscité par les citoyens en période de crise démocratique. Le populisme, souligne-t-il, se nourrit de la critique d’un système politique élitiste et sclérosé rendus responsable de l’insatisfaction d’un trop grand nombre d’attentes sociales et source d’explosions populaires. En ce sens, le populisme, dans nos démocraties libérales, n’est pas la promesse d’un chaos au détriment de la démocratie mais, au contraire, celle de la fin du chaos démocratique qu’assurément la poursuite de l’effondrement du système politique aurait garanti. Voilà pourquoi Jean-Luc Mélenchon qui rêve d’une VIème République à sa main (pardon, à la main du peuple) peut affirmer, en parfait populiste, que le chaos, ce n’est pas lui, c’est Macron ! Mais alors que dire d’Emmanuel Macron, qui à son tour fait de son adversaire insoumis l’égérie du chaos et de lui-même le grand ordonnateur ? Décryptons la rhétorique du chaos :


Pour Jean-Luc Mélenchon le chaos est la conséquence de l’effondrement actuel de notre système démocratique. Pour Emmanuel Macron, il est au contraire la cause de l’effondrement lui-même. Pour le premier, le chaos est résolu par la création d’un nouvel ordre, pour le second, il l’est par le retour de l’ordre. Deux rhétoriques du chaos et de l’ordre mais, malgré tout une même mécanique populiste visant à tirer un avantage politique de la crise démocratique pour installer un « moi ou le chaos » rassembleur des forces politiques et mobilisateurs des électeurs. Et dans les deux cas, c’est une erreur stratégique si l’objectif est bien de sortir du chaos sans sortir de la démocratie libérale. Mais alors, comment faire ?


Posons d’abord ce constat sévère : au-delà d’un usage partagé de la rhétorique du chaos, il existe des similitudes populistes évidentes dans le mode d’action de Jean-Luc Mélenchon et d’Emmanuel Macron et entre leurs mouvements respectifs. C’est ce que montre par exemple le chercheur Rémi Lefebvre dans son enquête comparative sur LFI et LRM, « caractérisés par une forte personnalisation et un fonctionnement vertical, des partis-mouvements (qui) sont moins destinés à construire la vie politique qu’à préparer l’échéance électorale[2] ». Des partis qui présentent toutes les caractéristiques du véhicule populiste. Créés sur le fantasme d’un amour oblatif entre un leader et une masse militante, ces partis, légitimés par la critique des partis traditionnels accusés d’être « déconnectés du peuple », contribuent à saper leurs concurrents que sont le parlement, les corps intermédiaires, les partis politiques classiques, l’Etat de droit et plus généralement tout ce qui pourraient être source de pluralisme, de délibération ou de contre-pouvoir. Tout ce qui pourrait s’inviter dans la relation exclusive entre le chef et le peuple, ou se placer au-dessus ou face à l’autorité du chef. La démocratie représentative et libérale en somme.


Faut-il pour autant se désespérer ? Je ne le crois pas. Dans la cosmogonie grecque, le Kháos décrit la grande confusion générale avant que n’émerge la Terre qui offre alors à l’Homme une assise stable. Le chaos n’est donc pas forcément funeste, il peut être une transition. C’est aussi la thèse audacieuse, celle de l’ambivalence du populisme, que défend Fédérico Tarragoni : le populisme peut aussi se muer en une force de transition, à charge pour nous d’en faire une transition positive vers une démocratie libérale revivifiée, à refaire de nos institutions représentatives et de nos partis des « banques de la colère » pour reprendre l’expression de Sloterdjik, afin de canaliser le flux de la colère populaire et de le transformer en idées et en actions politiques justes et efficaces.


Clairement, le nouvel ordre vers lequel Jean-Luc Mélenchon nous promet de transiter pour sortir du chaos démocratique actuel est un ordre funeste, ne serait-ce que par l’autoritarisme politique qui anime son leader et la banqueroute économique et sociale qui fonde son programme. La responsabilité qui incombe dès lors à la majorité et au Président de la République est immense, car il est le seul qui incarne encore aujourd’hui la promesse d’une transition démocratique, libérale. Non pas d’un évitement du populisme, mais d’une sortie de celui-ci. Mais pour tenir cette promesse et transformer positivement la colère populaire et la logique populiste, en transition démocratique, il faudra d’abord rompre avec l’immobilisme en matière de réforme institutionnelle et les attaques contre la démocratie représentative dont l’annonce d’un Conseil National de la Refondation est une énième épiphanie. Il faudra ensuite que le pouvoir fasse son autocritique et s’écarte du mode d’action populiste qui lui tient lieu de relais de croissance pour son leadership alors même qu’il contribue à sa propre délégitimation. Enfin, au-delà, de la Macronie, il faudra qu’en France, enfin renaisse l’esprit libéral : car c’est bien le libéralisme et lui seul qui est l’antidote au poison du populisme. Que les populistes de tous bords aient précisément fait du mot « libéral » un mot tabou, montre bien la peur qu’ils en ont. Car c’est le libéralisme et seulement lui qui depuis toujours défend la liberté individuelle face aux excès de pouvoir de l’Etat comme aux abus de pouvoir de ses détenteurs. Lui qui forge l’Etat de droit qui place chacun à égalité en dessous de la loi et garantit les droits des minorités, lui qui installe l’équilibre et la séparation des pouvoirs au cœur de nos institutions, lui pour qui des millions d’hommes et de femmes sont morts ou continuent de mourir en Europe pour défendre la liberté, la paix et la démocratie.


Plus que jamais, c’est d’une nouvelle offre politique libérale dont nous avons besoin pour, en même temps, résoudre la crise démocratique et faire barrage à tous les populismes. Ce faisant, nous saurons peut-être, pour paraphraser Nietzsche, nous saisir de ce chaos qui git au cœur de notre démocratie pour accoucher d’une étoile qui danse.



[1] Federico Tarragoni, L’esprit démocratique du populisme, La Découverte, 2019. [2] Rémi Lefebvre, Que sont devenus les partis-mouvements ? La France insoumise et La République en marche depuis 2017, Esprit, Janvier-février 2022.

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