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La liberté exige de la vertu et de l’audace, Athènes 2015

Dernière mise à jour : 5 juil. 2022

La liberté exige de la vertu et de l’audace (Alexis Tsipras, Athènes, 3 juillet, 2015)

Extrait de "Vive la Politique Libre"


J’ai 39 ans. Il fait près de

40° ce vendredi 3 juillet 2015 et un soleil de plomb s’est abattu sur le campus de l’université d’Athènes, perché dans les hauteurs de la ville. Ce jour-là, tandis que nous sommes en pleine crise de la dette grecque, le petit monde des académiques internationaux dont je suis s’est donné rendez-vous pour la conférence annuelle de la Society of Business Ethics, qui réunit philosophes, psychologues et sociologues internationaux venus disserter…de finance, d’éthique et de pouvoir. Quelle ironie. Depuis des années, les marchés puis les Etats savent que la dette de la Grèce est insoutenable et pourtant tout le monde continue (avec profit) de lui prêter. Puis, dans un retournement brutal, la Grèce est sommée de rembourser et de s’administrer ce que l’on qualifie délicatement de « cure d’austérité » mais qui n’est rien moins que l’abandon de millions de grecs à la pauvreté. Pire, derrière ses exigences financières, la troïka, dépourvue de toute légitimité démocratique, cache mal des relents moralisateurs et dominateurs en même temps qu’un certain oubli des fondements de la démocratie Européenne. Quelques jours plus tôt, les négociations en vue de la 3ème tranche du versement du plan d’aide de l’Europe à la Grèce ont échoué après que le premier ministre Grec Alexis Tsípras a eu dénoncé l’insoutenabilité sociale et le risque politique des mesures d’austérité exigées par la Troïka, puis annoncé l’organisation d’un référendum le 5 juillet. Dans deux jours, les Grecs devront à leur tour, démocratiquement cette fois, se prononcer pour ou contre les propositions de la Troïka. Tsípras met son poste dans la balance et invite le peuple Grec à dire Non au référendum et aux menaces des créanciers, tout en plaidant pour un grand Oui à l’Europe appuyé sur un rappel démocratique et un appel à la solidarité et des peuples d’Europe, depuis son berceau historique.

Sur le campus, mes collègues grecs de l’université ne sont plus payés depuis des semaines mais continuent de donner cours à leurs étudiants. Je suis frappée par leur dignité. En fin de journée, tandis que les présentations scientifiques s’achèvent, nous entendons s’élever les rumeurs de la ville. Les Grecs sont descendus dans la rue. Quand je rejoins mon hôtel en centre-ville, j’allume la télé où BFM cède, comme à son habitude, à une vision dramatique « Dans la capitale grecque, on craint les émeutes devant les distributeurs automatiques de billets, les débordements dans les rues » annonce la présentatrice. Je ne reconnais pas dans cette description le calme et la dignité des Grecs que j’ai croisés depuis mon arrivée.


On annonce que Tsípras va prendre la parole devant le Parlement, place de la Constitution. C’est à deux pas, alors je décide de quitter le confort de mon hôtel. Dans les rues, les grecs défilent dans le calme, pas de « files interminables devant les DAB, pas de débordements ». Je me joins au cortège et débouche sur la place de la Constitution. Celle-ci est bondée, remplie de visages fiers et souriants, de bras qui agitent des drapeaux et au centre, une estrade installée la comme pour un concert improvisé. Alexis Tsípras prend alors la parole et prononce l’un des plus beaux discours qu’il m’ait été donné d’entendre et qui n’est pas sans me rappeler l’appel du 18 juin. Un écouteur enfoncé sur une oreille pour entendre la version anglaise, tandis que l’autre accueille la clameur et l’enthousiasme des Grecs rassemblés pour célébrer la démocratie et l’indépendance, j’ai conscience de vivre un moment historique qui fait battre mon cœur d’Européenne.


Depuis ce jour, j’ai relu des centaines de fois cet ode à la démocratie et la liberté : « Citoyens d’Athènes, peuple Grec, aujourd’hui nous ne protestons pas, nous ne manifestons pas, aujourd’hui est un jour de fête, une fête de la démocratie. La démocratie est une fête et une joie, la démocratie est une libération, la démocratie est une issue. Et nous célébrons la victoire de la démocratie, nous sommes déjà victorieux quelle que soit l’issue du scrutin ce dimanche, car la Grèce a envoyé un message de fierté. Personne ne peut ignorer cette passion, cet anxieux désir de vie, cet anxieux désir d’espoir, cet anxieux désir d’optimisme (…) dans ce lieu qui a vu naitre la démocratie, nous donnons à la démocratie une chance de revenir, de revenir en Europe, car nous voulons que l’Europe revienne à ses principes fondateurs » et Tsípras d’ajouter : « La liberté demande de la vertu et de l’audace ». Les explosions de joie et les larmes de grecs sont contagieuses. Ce jour-là restera à tout jamais gravée dans ma mémoire, et vaudra à mon deuxième fils le second prénom d’Alexis, le premier, Maximilian, étant celui d’un roi bavarois amoureux de la France.


Si les propos de Tsípras résonnent avec tant de force en moi, ce n’est pas seulement par admiration pour l’esprit d’indépendance et de démocratie, le sens de l’histoire et la flamme d’un grand leader. C’est aussi, parce que mon cœur saigne, à moi Européenne de cœur, Française d’origine allemande, de voir ainsi depuis des semaines mes deux pays, la France et l’Allemagne, blesser l’idée, la belle et la grande idée, que je me fais de l’Europe. L’Europe des peuples et d’un destin partagé, l’Europe de la démocratie et de la Paix perpétuelle, l’Europe qui sait pardonner et se réconcilier. Cette Europe-là, tel un enfant rejeté, s’est réfugiée, là où elle est née, à Athènes, dans le berceau de la Démocratie, le dernier endroit, où elle retrouve, l’espace de quelques instants un peu de sa grandeur et sa dignité.


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