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Sans l’Etat de droit


Tribune collective


En 2019, le journaliste turc Ahmed Atlan a fait paraitre en français un ouvrage qui raconte sa détention arbitraire, pour s’être opposé au pouvoir d’Istanbul. A sa façon, il fait écho à une littérature malheureusement abondante, du récit autobiographique de Mandela aux romans de Kafka. Les exemples abondent dans l’histoire et sous différentes géographies, de ce que serait un régime où l’« état de droit » ne serait plus garanti, comme le réclament de plus en plus de voix dans le débat public français, prétendant redonner au peuple une souveraineté fantasmée en écartant d’un revers de la main des décennies de construction juridique.


L’Etat de droit n’est pas qu’une lubie de théoriciens déconnectés, qui ignoreraient les difficultés du quotidien : c’est un principe fondamental, peut-être même le plus essentiel de nos démocraties libérales. Ceux qui nourrissent la dangereuse revendication de l'outrepasser – et avec lui la protection des individus, légitimant le projet populiste d'une justice circonstancielle, rompent avec le cadre de la raison et de l'universalisme hérité des Lumières. Sa remise en question nous met collectivement en danger.


Sans Etat de droit, l’arbitraire règnera. Son affaiblissement signifierait une dégradation de la garantie des libertés individuelles et publiques. Sans lui, quiconque s'éloigne du groupe social dominant s’expose à l’exclusion. Les minorités, raciales, religieuses ou sexuelles, en seront les premières victimes. Sans lui, l’indépendance de la police et de la justice faibliront, donnant au politique le pouvoir de décider de l’issue des mises en cause, retirant aux citoyens les garanties d’un procès équitable, voire la possibilité de se défendre.


Sans Etat de droit, l’ordre moral dominera, qu’il soit de gauche ou droite. Sans lui, la liberté d’expression s’amoindrira, soumise à la censure du moment : la prééminence du politique sur le droit se fait toujours aux dépens de ceux qui, par leur existence même, questionnent le pouvoir. On ne peut s'émouvoir du sort des Ouïghours en Chine ou des femmes en Iran et légitimer en même temps une justice parallèle ici.


Sans Etat de droit, l’autoritarisme triomphera. Sans lui, il n’est pas de démocratie. D’abord, parce que le contrôle du gouvernement par le Parlement s’affaiblissant, au nom de l’efficacité souveraine, les représentants du peuple seront en réalité dépossédés.

Sans Etat de droit, la loi de la jungle prévaudra. Sans lui, les droits sociaux défendus par la Constitution et son préambule seront soumis au bon vouloir du gouvernement en place : les droits se transformeront en faveurs accordées ou retirées au gré des amitiés et allégeances.


Sans Etat de droit, la récession arrivera. Sans lui, le cadre économique sera toujours plus instable et incertain : l'investissement et l'innovation ne peuvent pleinement s'épanouir, l’absence de sécurité juridique restreignant le champ des possibles et l'espace des choix. Hernando de Soto a d’ailleurs montré combien l’absence de protection de la propriété, interdisant aux individus de se projeter, d’emprunter, de se protéger, avait un déclencheur du Printemps arabe. C'est l'économie, la technologie et la science qui se trouveraient mises en suspens.


Sans Etat de droit, l’insécurité se déploiera. Sans lui, l’ordre reculera : l’absence de règles établies favorise les chasses aux sorcières et les conflits. Si chacun considère légitime de se faire justice, la violence sera désormais la norme.

Ne nous trompons pas : remettre en cause l’Etat de droit, c’est menacer notre démocratie, notre liberté, notre égalité, notre fraternité. C’est fragiliser la République, la force de la loi, l’égalité de tous les citoyens devant elle d’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient. C’est mettre en péril la paix civile.


Guillaume Bazot, économiste, maître de conférences

Sacha Benhamou, consultant

Karine Charbonnier, entrepreneure

Kevin Brookes, PhD, enseignant-chercheur en science politique

Virginie Calmels, présidente fondatrice FUTURAe

Mehdi El Mir, étudiant et chargé de relations publiques

Alexis Karklins-Marchay, entrepreneur et essayiste

Samuel Fitoussi, entrepreneur et essayiste

Philippe Juvin, député

Erwan Le Noan, consultant et essayiste

Valerie Petit, PhD, chercheuse et entrepreneuse, ancienne députée

Aurelien Veron, conseiller de Paris et métropolitain

Maxime Sbaihi, économiste et essayiste

Philippe Silberzahn, professeur de stratégie

Rubin Sfadj, avocat




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