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Nuages arc-en-ciel
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Bienvenue sur mon blog,
J'y partage mes tribunes, discours, interventions et quelques récits de vie personnels où il est souvent question de Liberté et de pouvoir ! 

  • Photo du rédacteur: Valerie Petit
    Valerie Petit
  • 27 juin 2022
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 juil. 2022


"Plus que jamais, c’est d’une nouvelle offre politique libérale dont nous avons besoin"

Une victoire par chaos, ainsi pourrions-nous qualifier la campagne des législatives et son résultat, une victoire à la Pyrrhus pour la majorité présidentielle mais aussi et surtout pour notre vie politique, soumise plus que jamais à la logique populiste dont le chaos démocratique est le carburant.

Chaos, ce mot résonne désormais comme un nouveau sous-jacent de la vie politique. Trois semaines après le « chaos du stade de France », le dieu des abimes est sur toutes les lèvres, de toutes les dénonciations, de toutes les prophétisassions. « L’expérience ne nous offre au premier coup d’œil qu'un chaos suivi d'un autre chaos », cette phrase du grand penseur libéral John-Stuart Mill pourrait être inscrite au frontispice politique que sont devenus les bandeaux des chaines d’info pour résumer la campagne des législatives 2022. Prenons un jour de cette campagne au hasard, le 15 juin, jour de l’invention du paratonnerre par Benjamin Franklin. C’est un jour orageux, un jour de campagne des législatives. Ce jour-là, un conseiller (EELV) de Paris appelle à « Mettre le chaos et l’anarchie à l’Assemblée nationale » et Bruno Retailleau (LR) de résumer : « Macron c’est le désordre et Mélenchon, c’est le chaos ». Non loin de là, sur le tarmac, le premier (LREM) réclame pourtant : « une majorité solide pour assurer l’ordre, car rien ne serait pire que d’ajouter un désordre Français au désordre mondial » tandis que le second (LFI), avec son sens du retournement habituel intitule sobrement sa conférence de presse « Macron, c’est le chaos ! » dénonçant en vrombissant son « bilan chaotique ». Vous n’y comprenez plus rien ? Normal, c’est précisément le principe du chaos, un « ensemble de choses sens dessus dessous et donnant l'image de la destruction, de la ruine, du désordre » si l’on en croit Larousse. Le Kháos, c’est la grande confusion générale, mais aussi le gouffre sans fond et la chute sans fin.


A la question « que révèle cette rhétorique du chaos sur notre état politique général ? », je répondrais qu’elle prouve que nous sommes déjà entrés de plein pieds dans une ère populiste dont certains pensaient, à tort, avoir repoussé la date d’entrée de quelques années. Une ère qui se nourrit tel un ogre de notre chaos démocratique.


Dans son ouvrage, l’esprit démocratique du populisme, le sociologue wébérien Fédérico Taragonni[1] propose un idéal-type du populisme qu’il décrit non pas comme un style discursif (la démagogie) ou une personnalisation du pouvoir (le césarisme) mais comme un mode d’action politique à part entière, adopté par certains leaders politiques de tous bords et plébiscité par les citoyens en période de crise démocratique. Le populisme, souligne-t-il, se nourrit de la critique d’un système politique élitiste et sclérosé rendus responsable de l’insatisfaction d’un trop grand nombre d’attentes sociales et source d’explosions populaires. En ce sens, le populisme, dans nos démocraties libérales, n’est pas la promesse d’un chaos au détriment de la démocratie mais, au contraire, celle de la fin du chaos démocratique qu’assurément la poursuite de l’effondrement du système politique aurait garanti. Voilà pourquoi Jean-Luc Mélenchon qui rêve d’une VIème République à sa main (pardon, à la main du peuple) peut affirmer, en parfait populiste, que le chaos, ce n’est pas lui, c’est Macron ! Mais alors que dire d’Emmanuel Macron, qui à son tour fait de son adversaire insoumis l’égérie du chaos et de lui-même le grand ordonnateur ? Décryptons la rhétorique du chaos :


Pour Jean-Luc Mélenchon le chaos est la conséquence de l’effondrement actuel de notre système démocratique. Pour Emmanuel Macron, il est au contraire la cause de l’effondrement lui-même. Pour le premier, le chaos est résolu par la création d’un nouvel ordre, pour le second, il l’est par le retour de l’ordre. Deux rhétoriques du chaos et de l’ordre mais, malgré tout une même mécanique populiste visant à tirer un avantage politique de la crise démocratique pour installer un « moi ou le chaos » rassembleur des forces politiques et mobilisateurs des électeurs. Et dans les deux cas, c’est une erreur stratégique si l’objectif est bien de sortir du chaos sans sortir de la démocratie libérale. Mais alors, comment faire ?


Posons d’abord ce constat sévère : au-delà d’un usage partagé de la rhétorique du chaos, il existe des similitudes populistes évidentes dans le mode d’action de Jean-Luc Mélenchon et d’Emmanuel Macron et entre leurs mouvements respectifs. C’est ce que montre par exemple le chercheur Rémi Lefebvre dans son enquête comparative sur LFI et LRM, « caractérisés par une forte personnalisation et un fonctionnement vertical, des partis-mouvements (qui) sont moins destinés à construire la vie politique qu’à préparer l’échéance électorale[2] ». Des partis qui présentent toutes les caractéristiques du véhicule populiste. Créés sur le fantasme d’un amour oblatif entre un leader et une masse militante, ces partis, légitimés par la critique des partis traditionnels accusés d’être « déconnectés du peuple », contribuent à saper leurs concurrents que sont le parlement, les corps intermédiaires, les partis politiques classiques, l’Etat de droit et plus généralement tout ce qui pourraient être source de pluralisme, de délibération ou de contre-pouvoir. Tout ce qui pourrait s’inviter dans la relation exclusive entre le chef et le peuple, ou se placer au-dessus ou face à l’autorité du chef. La démocratie représentative et libérale en somme.


Faut-il pour autant se désespérer ? Je ne le crois pas. Dans la cosmogonie grecque, le Kháos décrit la grande confusion générale avant que n’émerge la Terre qui offre alors à l’Homme une assise stable. Le chaos n’est donc pas forcément funeste, il peut être une transition. C’est aussi la thèse audacieuse, celle de l’ambivalence du populisme, que défend Fédérico Tarragoni : le populisme peut aussi se muer en une force de transition, à charge pour nous d’en faire une transition positive vers une démocratie libérale revivifiée, à refaire de nos institutions représentatives et de nos partis des « banques de la colère » pour reprendre l’expression de Sloterdjik, afin de canaliser le flux de la colère populaire et de le transformer en idées et en actions politiques justes et efficaces.


Clairement, le nouvel ordre vers lequel Jean-Luc Mélenchon nous promet de transiter pour sortir du chaos démocratique actuel est un ordre funeste, ne serait-ce que par l’autoritarisme politique qui anime son leader et la banqueroute économique et sociale qui fonde son programme. La responsabilité qui incombe dès lors à la majorité et au Président de la République est immense, car il est le seul qui incarne encore aujourd’hui la promesse d’une transition démocratique, libérale. Non pas d’un évitement du populisme, mais d’une sortie de celui-ci. Mais pour tenir cette promesse et transformer positivement la colère populaire et la logique populiste, en transition démocratique, il faudra d’abord rompre avec l’immobilisme en matière de réforme institutionnelle et les attaques contre la démocratie représentative dont l’annonce d’un Conseil National de la Refondation est une énième épiphanie. Il faudra ensuite que le pouvoir fasse son autocritique et s’écarte du mode d’action populiste qui lui tient lieu de relais de croissance pour son leadership alors même qu’il contribue à sa propre délégitimation. Enfin, au-delà, de la Macronie, il faudra qu’en France, enfin renaisse l’esprit libéral : car c’est bien le libéralisme et lui seul qui est l’antidote au poison du populisme. Que les populistes de tous bords aient précisément fait du mot « libéral » un mot tabou, montre bien la peur qu’ils en ont. Car c’est le libéralisme et seulement lui qui depuis toujours défend la liberté individuelle face aux excès de pouvoir de l’Etat comme aux abus de pouvoir de ses détenteurs. Lui qui forge l’Etat de droit qui place chacun à égalité en dessous de la loi et garantit les droits des minorités, lui qui installe l’équilibre et la séparation des pouvoirs au cœur de nos institutions, lui pour qui des millions d’hommes et de femmes sont morts ou continuent de mourir en Europe pour défendre la liberté, la paix et la démocratie.


Plus que jamais, c’est d’une nouvelle offre politique libérale dont nous avons besoin pour, en même temps, résoudre la crise démocratique et faire barrage à tous les populismes. Ce faisant, nous saurons peut-être, pour paraphraser Nietzsche, nous saisir de ce chaos qui git au cœur de notre démocratie pour accoucher d’une étoile qui danse.



[1] Federico Tarragoni, L’esprit démocratique du populisme, La Découverte, 2019. [2] Rémi Lefebvre, Que sont devenus les partis-mouvements ? La France insoumise et La République en marche depuis 2017, Esprit, Janvier-février 2022.

  • Photo du rédacteur: Valerie Petit
    Valerie Petit
  • 20 juin 2022
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 15 nov. 2022



Tribune parue le 7 juin 2022


La députée, chercheuse spécialiste du pouvoir, fustige la propension de trop d'élus à perdre le sens de la mesure, s'estimant au-dessus des lois et des "gens du commun".









« La République, c'est moi ! Personne ne me touche, ma personne est sacrée".

"Ça fait 6 fois que l'on réclame ma démission au Parlement, alors n'hésitez pas Madame la sénatrice !"

De quel syndrome de notre vie politique ces deux phrases sont-elles le symptôme ?

La première affirmation est de Jean-Luc Mélenchon, lors de la perquisition du siège de son parti, La France Insoumise, dans le cadre d'une enquête sur le financement de la campagne présidentielle de 2017 ; la seconde proposition est de Gérald Darmanin lors de son audition récente au Sénat faisant suite au chaos survenu lors du match Liverpool-Madrid au stade de France. Mis en cause, le premier se proclame intouchable tandis que le second se vante d'être indémissionnable. Chacun avec son style, l'un avec virulence, l'autre avec insolence, rappelle à ses interlocuteurs qu'il n'est pas "comme eux" et qu'à sa personne s'applique dès lors un traitement (de faveur) différent. Eux, ce sont les représentants de la loi, que ce soit la police en charge de l'appliquer ou les parlementaires en charge de la voter. Eux, ce sont les Français, les "gens" ordinaires, le peuple dont ironiquement ces deux-là s'arrogent chacun à leur façon le monopole du porte-parolat.

Ce sentiment de supériorité, pour ne pas dire d'impunité, est caractéristique d'une affection bien connue des hommes de pouvoir : le syndrome d'hubris. Cette maladie du pouvoir qui vous fait perdre le sens de la mesure et vous conduit à croire que vous êtes au-dessus des hommes et des lois, affranchis de la réalité ordinaire. Ces derniers temps, la France semble traverser une véritable crise d'hubris, une crise qui en dit long sur l'état de nos leaders politiques, de nos institutions, mais surtout de nous-mêmes, nous les Français, ce peuple si (trop) politique.

L'hubris, c'est ce syndrome qui abîme la psyché de ceux qui exercent le pouvoir trop longtemps ou qui le désirent trop ardemment. En soi, rien de nouveau sous le soleil, car de Montesquieu pour qui "c'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser" à Lord Acton pour qui "le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument " en passant par Suétone et sa Vie des douze Césars, l'étude des effets corrupteurs d'un trop grand pouvoir ou désir de pouvoir sur la santé mentale est une tradition ancienne chez les historiens et philosophes.

Plus récemment, les chercheurs, dont je suis, se sont penchés sur les caractéristiques psychologiques de l'hubris chez les leaders politiques et économiques. Des travaux qui nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans la tête de ces hommes dont le pouvoir semble avoir altéré irrémédiablement le sens de la mesure. Pour mieux les comprendre, je vous propose un petit voyage en trois arrêts dans la tête de ceux que le pouvoir intoxique pour reprendre le terme de David Owen, médecin et ancien Foreign Secretary devenu pionnier de la clinique de l'hubris politique.

De la Comédie Française à l'Ile de la Cité

Le premier arrêt nous emmène à la Comédie Française, dans ce théâtre qu'est la politique où se déploie à l'envi le sentiment grandiose de soi qu'éprouve notre leader souffrant d'hubris. Car plus que tout, ce dernier aime à se mettre en scène, ne boudant jamais la grandiloquence et les provocations afin d'être l'unique centre de l'attention, le préféré de tous. Ses gestes, ses propos, veulent donner l'impression de la (toute-)puissance : il veut tout, peut tout, ose tout. Son ambition comme sa capacité sont sans limite. Il est ce que l'on appelle un "sur-confiant", surestimant sans cesse ses chances de succès et de réussite, ignorant l'incertitude dans un monde pourtant si incertain. Et quand la réalité se rappelle à lui, la mauvaise foi ou le déni lui permettent de démontrer que ce n'est pas lui qui se trompe, mais la vérité qui est dans l'erreur ! En toute logique (sic), il se considère, du fait de son talent, comme le seul qualifié pour occuper le poste le plus élevé et la plupart des postes en général : cumul des mandats et des fonctions font de lui cet être éternel et perpétuel, un projet fou qui lui tient lieu de quête frénétique et existentielle. Il nous énerve, nous met en colère mais toujours nous fait réagir, nous contraignant à ne voir que lui. Mais après tout, dans le pays de Molière, qui pourrait bien

Notre deuxième arrêt nous conduit dans la galerie des glaces du château de Versailles. Car notre leader n'aime rien moins qu'on lui renvoie à l'infini une image flatteuse de lui-même. La critique lui est insupportable : il y répond généralement par le mensonge, l'agressivité ou la mauvaise foi et fait montre à l'endroit des impudents d'un manque de considération crasse. Car ces derniers ne sont pas pour lui des sujets mais autant de miroirs tendus qui, s'ils ne lui renvoient pas une image flatteuse, s'exposent à quelques représailles, comme cette "machine Schiappa" que l'on balaie d'un revers de main en conférence de presse, ou cette journaliste un peu trop piquante que l'on exhorte fermement au calme durant une interview. Mais allons bon, dans le pays du roi soleil et de l'exception française, il faut bien, pour faire rayonner l'image nationale, en exiler quelques-un(e)s à l'ombre !

Notre dernier arrêt nous conduit sur l'Ile de la Cité, au Palais de justice. Un endroit où notre leader n'aime guère être convoqué. S'estimant au-dessus des lois et des "gens du commun", il s'affranchit facilement de l'éthique et ponctuellement de la loi. Et s'il est pris la main dans le sac, il inversera les rôles à son profit ou dénoncera la justice elle-même ! "La victime c'est moi" s'exclame celui-ci, "c'est une justice politique" accuse celui-là. Car tous semblent oublier que notre leader tient son pouvoir et sa valeur de quelque chose de bien supérieur à la loi. Quand l'un s'exclame : "quand je serai élu !" alors qu'il n'est candidat à aucune élection ou quand l'autre semble si convaincu de son éternelle reconduction, les deux se contentent de nous informer de ce que nous persistons à ignorer : l'élection, les concernant, n'a rien à voir avec le suffrage populaire, elle est une onction sacrée, dont ils sont oints par la grâce d'une autorité supérieure avec laquelle ils entretiennent une relation à l'évidence exclusive. Mais, ma foi, dans le pays de Napoléon, qui pourrait leur reprocher, après avoir mené tant de batailles, de vouloir "attaquer le soleil, en priver l'univers ou s'en servir pour embraser le monde" pour citer les mots du divin marquis ?

Car de quoi nous plaignons-nous exactement ? Nous avons les politiques que nous méritons, pour reprendre le mot de Chloé Morin. Nous savons bien que l'hubris n'est rien moins que le double obscure du charisme et l'ethos des tyrans et des populistes. Ces leaders nous séduisent, au sens premier du mot : se ducere, en latin, qui signifie "conduire hors du chemin". L'hubris nous conduit toujours hors du chemin, celui de la démocratie et de l'Etat de droit, qui précisément ne place rien au-dessus des hommes si ce n'est la loi. Voilà pourquoi nous avons besoin des partis politiques et du pluralisme, voilà pourquoi nous avons besoin du parlement et de la loi, mais plus que tout, voilà pourquoi nous avons besoin de l'histoire : pas seulement celle d'Icare qui vola trop près du soleil, mais celle qui sans cesse se répète, y compris à quelques centaines de kilomètres de Paris. L'hubris conduit toujours à la Némésis, à la destruction. Et le jour où la France brûlera, ces leaders-là ne regarderont pas ailleurs : tel Néron, ils contempleront le théâtre de flammes avec la jouissance de ceux qui se savent être l'étincelle qui a fait se consumer notre démocratie. Ces leaders-là ne changeront pas, c'est à nous de changer et de vouloir d'autres visages, d'autres hommes et d'autres femmes, pour notre démocratie : à nous d'opposer la raison collective aux folies individuelles.


  • Photo du rédacteur: Valerie Petit
    Valerie Petit
  • 16 juin 2022
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 juil. 2022

Tribune publiée dans l'Express le 25 mai 2022



Pour la députée, le monde politique doit s'inspirer du privé, où les plaintes contre un collaborateur sont prises au sérieux indépendamment de la procédure pénale.


"La justice est la seule à pouvoir trancher" a déclaré ce lundi Elisabeth Borne à propos du maintien de Damien Abad au gouvernement après qu'a été rendue publique l'existence de deux plaintes pour viols à son encontre.

Cette phrase, en dépit de son apparente simplicité, ne tranche rien en réalité et surtout pas le noeud gordien qu'est la sanction politique de la violence de certains hommes de pouvoir à l'endroit des femmes, et plus largement de la violence et du sexisme en politique.

Elle entérine plutôt une position devenue intenable : intenable pour les femmes parce qu'elles assistent impuissantes à la défense systématique de leurs agresseurs supposés et doivent subir les traditionnelles stratégies de discrédit qui blessent immanquablement une parole libérée, mais toujours fragile. Intenable pour le gouvernement, parce que de facto, ces affaires entachent sa réputation et ramènent à zéro son crédit en matière de défense des droits des femmes. Intenable pour les auteurs présumés qui se voient contraints d'exercer leurs responsabilités sous l'oeil inquisiteur du tribunal médiatique permanent tandis que leurs familles, bien souvent, se trouvent emportées.



Cette position à l'évidence déraisonnable est pourtant systématiquement tenue par le gouvernement depuis les "jurisprudences Darmanin et Guérini" (cette dernière dans le cas Peyrat). La première a été rappelée par la Première ministre et institue le maintien en poste de l'homme mis en cause tant que n'est pas prononcée une condamnation définitive par un tribunal. La seconde, maladroitement popularisée par le délégué général de LREM, institue une forme de "tribunal de dernière instance des électeurs" qui, à la fin, trancheront (sic) sur la situation dans les urnes.

Dans les deux cas, responsabilités politique et pénale sont confondues et conditionnées l'une à l'autre, exonérant à bon compte les gouvernants de toute décision et sanction politiques assumées.

Alors que faire pour bâtir une position tenable et surtout une solution efficace pour faire reculer les violences et progresser la responsabilité politique ?


Pour y répondre, opérons un détour productif par le monde de l'entreprise et du... droit commun, auquel la France, pays du droit public, aime à faire exception.


Si la majorité était une entreprise


Nous voici transportés dans un monde où les relations de travail, les liens de subordination et les comportements professionnels sont régis par le code du travail, dont le DRH est le premier garant et la Direction générale la première responsable ; un monde où les intérêts des employeurs comme des salariés sont représentés et défendus par des syndicats ; un monde de règles et de contrats, où les fautes professionnelles font l'objet de procédures de médiation et de sanctions disciplinaires (jusqu'au licenciement) et sont jugées par une justice professionnelle dédiée, complémentaire de la justice pénale.


Imaginons ainsi un instant que la majorité présidentielle soit une entreprise, dont Elisabeth B. serait la directrice générale, Damien A. le nouveau membre recruté du comité de direction, Stanislas G. le DRH. Aurélien P. serait quant à lui l'ancien DRH du précédent employeur de Damien A. Que se serait-il passé ?


D'abord, Stanislas G., informé de plaintes déposées contre sa future recrue, aurait immédiatement alerté sa direction juridique et sa directrice générale. Il aurait ensuite pris le temps de demander des références à l'ancien employeur de Damien A. et, face à la confirmation éventuelle par celui-ci de comportements inappropriés avec les femmes, aurait sans doute suspendu le recrutement. Imaginons cependant, que les compétences de la nouvelle recrue soient à ce point stratégiques pour l'entreprise que la direction passe outre et embauche son nouveau directeur, assumant le risque juridique associé. Quelques jours plus tard, la révélation des faits par la presse vient porter un tel préjudice à la réputation de l'entreprise que celle-ci procède immédiatement et légitimement au licenciement pour "faute professionnelle" de son nouveau salarié. Elle ne dit pas qu'il est coupable, elle dit qu'il lui porte préjudice.

Ajoutons, que même s'ils ont été commis hors de l'entreprise, les "comportements inappropriés" à l'endroit de collègues de travail de Damien A., s'ils sont avérés, sont évoqués dans les motifs de licenciement retenus car survenus au moyen de la mobilisation de son autorité professionnelle. Renvoi de Damien A. qui bien sûr pourra contester la sanction devant un tribunal des prud'hommes où il sera assisté d'un avocat et soutenu par son représentant syndical. Et si l'entreprise a abusé de son pouvoir, il sera réintégré. Quant à l'histoire pénale, elle se poursuit indépendamment, avec une possible réouverture des enquêtes et d'éventuelles condamnations.

Bienvenue dans le monde de l'entreprise qui ne souffre pas d'exception, y compris pour les dépositaires du pouvoir, et où l'employeur est tenu d'agir pour protéger les victimes présumées de violences sans attendre une décision de justice ! Dans ce monde, le nœud gordien est tranché : Si Damien A. est renvoyé, c'est parce qu'il n'est pas en mesure d'exercer ses responsabilités professionnelles sans mettre en péril et l'entreprise (principe de réputation) et les femmes avec qui il y interagit (principe de prévention) ; son licenciement ne préjuge en rien de sa culpabilité devant la justice, elle acte juste de son incapacité professionnelle et de la responsabilité de l'entreprise en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.


Pour une politique civilisée


Mais la politique n'est pas l'entreprise. Malheureusement. Et vient le moment de révéler le secret honteux de celle-ci, que trop de femmes et nombre d'hommes connaissent : son coeur est noir et bat violemment au rythme de l'état de nature et de la violence de tous contre tous. Et ce petit monde sauvage, paradoxalement supposé garantir l'état de droit, n'en finit pas de s'en exonérer pour lui-même, laissant se perpétuer une culture de la domination et de la violence, une culture hors sol, à rebours des attentes de la société civile.

C'est la question que nous pose l'affaire Abad, celles qui l'ont précédée et celles qui vont immanquablement suivre : comment sortir la politique de l'état de nature et la rendre plus civile et plus civilisée ?


Pour ce faire, je crois que deux combats restent à mener. Le premier est technique et juridique : il s'agit de rapprocher la politique du droit commun. En premier lieu, il ne peut plus être possible de laisser sans réponse des femmes victimes de comportements sexistes, de harcèlement ou de violences sans voir la responsabilité des leaders de partis engagée. Des comportements qui sont aujourd'hui ignorés ou balayés d'un revers de main par les politiques car, pour reprendre le mot d'un collègue que j'alertais sur de tels comportements dénoncés par l'une de mes collègues : "Non mais ça va, y a pas viol non plus ! ". Non, il n'y a pas viol mais il y a violence, verbale, psychologique, physique en revanche. Et surtout il y a un manquement professionnel grave à l'éthique politique. En second lieu, dans le cas des violences sexuelles, il est urgent de donner une alternative au seul dépôt de plainte : aujourd'hui, le système fait peser sur les épaules des femmes une pression qu'il faut avoir vécue pour ressentir l'abîme d'angoisse et l'espace offert aux pressions extérieures que ce gouffre à franchir représente. Pour ce faire, des procédures d'alerte, de médiation et de sanctions politiques doivent être mises en place sans attendre les décisions de justice : je propose pour ce faire qu'une instance soit créée, adossée au Défenseur des Droits ou à la HATVP et qui, à l'instar d'un juge des prud'hommes d'un ordre professionnel, disposera d'un pouvoir de sanction politique et professionnelle et offrira à la fois une écoute, des procédures de médiation et des actions de prévention dédiées. Ces mesures pourraient être la première pierre d'une réforme audacieuse que porterait notre Première ministre dont on ne peut douter de la sincérité et de l'engagement sur ce point. Mais encore faut-il la soutenir face à certains réflexes fratriarcaux solidement acquis.


Le second combat est culturel : il s'agit ni plus ni moins que de civiliser la politique. Pour cela, il faudra que des leaders politiques courageux mettent fin aux jurisprudences Darmanin et Guerini et que les partis politiques soient mieux organisés pour prévenir et sanctionner les violences.


Si nous ne faisons pas cela, la violence continuera de prévaloir en politique, les femmes continueront d'être en première ligne et, lentement mais sûrement, l'hubris du pouvoir continuera de régner et de déployer ses ailes noires sur la vie politique. Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument, disait Lord Acton : il est urgent de quitter l'état de nature pour l'état de droit et le véritable contrat social en politique car ce ne sont pas seulement les femmes que l'on violente, c'est la démocratie elle-même.


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